Je me propulsais dans les airs. Les boutons incrustés sous mes coussinets se retrouvaient pressés entre le sol et mon poids, tandis que le gaz se libérait à extérieur des cartouches. Je ne pouvais expliquer ce qui m’avait conduit à me rendre ici . Je refusais d’avouer que j’étais venu pour le simple plaisir d’utiliser mon équipement. D’ailleurs, qu’est ce que c’était, le plaisir ? Je ne savais même pas à quoi cela ressemblait… C’était  tellement exaspérant d’utiliser des mots qui n’avaient aucun sens pour moi. Je ne pouvais nier le fait que je me sentais nettement mieux  lorsque je me mouvais dans l’espace, mais de là à qualifier ce ressenti  avec une sensation  qui m’était aussi inconnue… Le gaz me propulsait en l’air, vers l’endroit ou j’avais attaché mon premier grappin. Le vent me fouettait le visage tandis que la sensation typique du vide s’emparait de mon corps. La gravité m’attirait sur la terre foncée et abîmée, puis je mordis dans mon autre patte avant pour activer le bouton sous mon coussinet qui donna l’ordre au deuxième grappin d’aller se planter dans un arbre calciné.

Je volais, je me déplaçais facilement en hauteur, j’avais tellement l’habitude ! C’était tellement reposant, je me sentais en sécurité, j’étais détendue et j’aurai presque pu esquisser un sourire si je n’étais pas habituée à porter ce masque complètement neutre sur mon visage. Le paysage passait rapidement devant mes yeux, mais je n’oubliais aucun détail. J’observais silencieusement  les arbres  d’ébènes, à la recherche du moindre danger qui pourrait troubler mon instant de paix. Pour l’instant, j’étais sereine.  Lorsque je passais en manœuvre tridimensionnelle, j’oubliais que je n’avais pas ma place dans ce monde, j’oubliais ces éternelles questions qui se bousculaient et écrasaient le peu de raison qui tentait de s’infiltrer dans mon esprit.  On aurait pu presque dire que je me comportais comme quelqu’un de normal.

Seul le bruit de mes grappins qui se décrochaient brisait le silence qui s’était installé ici. Je continuais mes multiples  figures aériennes, tout en mettant mes sens à épreuve. Je me concentrais principalement  sur mon ouïe et mon odorat. D’ailleurs, ma truffe n’arrêtait pas de me signaler une odeur chimique et dangereuse. Je devrais peut être pensé à éventuellement m’éloigner…Je ne voulais pas finir radioactive. Et je n’avais surtout pas envie de mourir dans des circonstances aussi terribles. L’instinct me dictait donc de faire marche arrière. Cependant, il ne me contrôlait plus pour l’instant. L’animal que j’étais au sol n’était pas le même lorsqu’il se trouvait dans les airs. C’était donc pour cette raison qui dépassait mon esprit de bête que j’étais parfaitement calme. Plus d’instinct primaire qui me forçait à quitter ce lieu dangereux…Non, cette fois-ci, la partie libre de mes pensées  dominaient tout le reste. Et que voulait cette partie ? Elle voulait continuer à avancer.

Soit ! Alors aucun problème, je continuerai de voler vers cet endroit. J’avais beau sentir les mauvaises ondes qui se dégageaient du lieu, cela ne m’empêcherait pas de continuer. Sans le savoir, j’étais tout simplement en train de connaitre ce qu’on appelle « la curiosité » . Mais bien évidemment, j’ignorais qu’elle agissait sur moi à ce moment même. Je redoublais de vitesse et d’agilité. Je voulais rapidement parvenir au centre de cette forêt, je voulais au moins voir ! Je basculais mon poids sur le côté pour éviter de me prendre une branche, je lançais mes grappins à toute vitesse, j’appuyais mes pattes arrières sur les troncs d’arbres que je rencontrais pour faire sortir le gaz. Puis enfin, après quelques minutes de voltige, je sentis enfin l’adrénaline monter lorsque mes yeux rencontrèrent l’énorme cratère. Comment les hommes faisaient-ils pour créer des armes aussi puissantes ? Quelque chose qui ressemblait fort à de la fascination se dessina dans mon regard. Ils étaient si intelligents, si supérieurs…Ils me faisaient confiance. Moi, je ne savais pas ce que je ressentais pour eux. Comme tout être animal, je les craignais par leur puissance, mais les vénéraient aussi. Peur et admiration, c’était les seules émotions que j’avais appris à repérer et à éprouver.

J’étais tellement absorbée par la taille du cratère que mon odorat ne repéra pas de suite la présence d’un félin qui me regardait. Les ondes chimiques étaient fortes, le fait de les respirer brouillait peut être mon temps de réaction. Mais finalement, je finis par me rendre compte que je n’étais pas seule et mon état de plénitude que j’avais ressenti  il y a quelques instants disparaissait progressivement. Mes prunelles bleues rencontrèrent celles noires d’un félin aux longs crocs. Esquissant un dernier mouvement gracieux dans les airs, je venais me poser sur une branche basse, à 6 mètres de l’animal noir. Un congénère de la meute opposée. Mon regard se durcit. Un ennemi… Je ne voulais pas engager le combat, je le sentais qu’il était plus fort que moi. Rien qu’a voir ses crocs, j’ai immédiatement compris que je ne devrais en aucun cas inciter au combat…Mais que faire ? Les hommes ont remarqué que je ne savais tisser aucun lien sociale, que je n’étais qu’un animal non civilisé. Les seuls félins que je rencontrais étaient ceux de ma garnison…Jamais ça ne m’étais arrivée de rencontre un Felinae. L’inconnu fait naitre la peur….Je plantais mes griffes dans  l’écorces d’onyx et j'hérissais mon pelage. Mes yeux ne reflétaient pas des éclairs, mais plutôt l‘incompréhension que j’éprouvais face à cette situation…

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