Cette nuit fût particulièrement mouvementée.
Je n'avais pas réussi à dormir. Le bruit incessant des insectes me réveillaient à chaque fois que je somnolais. Il faisait froid. Très froid. Mon épais manteau de fourrure m'avait tout de même empêcher de sentir l'air froid à son plus haut point.
Décidément, quelle pourriture de nuit.
Maintenant, j'avais la tête qui tournai. Des cernes s'étaient dessinés sous mes beaux yeux azurs. J'étais penché en avant, le dos légèrement en retrait, fixant mon reflet ondulant dans l'eau pure de l'oasis.
Quelle sale tête tires-tu, mon ami !
J'avais vraiment l'air fatigué. Et je l'étais. Rester planté là à prendre le soleil ne servirait à rien de plus que d'augmenter mon maux de tête. Alors je me mettais sur mes pattes, errant dans les alentours, le pas lourd et la queue traînante. Mon museau était pointé vers le sol terreux. Je ne regardai pas devant moi. Mon esprit était tout embrumé. Mon pauvre corps avait vraiment besoin de sommeil. Je ne pouvais me présenter à quelqu'un dans ce piteux état.
Soudainement, ma tête heurtai quelque chose. Je m'immobilisai, réalisant à peine ce que était en train de se passer. Bwarf, j'avais probablement foncé tête baissée dans un rocher. Non, une minute. Un rocher, ça n'est pas poilu !
Je reculai de quelques pas, levant ma tête vers l'intéressé. C'était.. Levi ? Le sous-chef ? Oh non.. Il allait probablement durement me sanctionner, ce coincé. J'abaissai mes oreilles, honteux.
" Je.. Je suis désolé.." balbutiai-je, mes yeux plongés dans les siens.

Je le fixai, légèrement en retrait. Il était plus grand que moi. Pas d'une grande différence, mais tout de même plus grand. Pas étonnant, venant d'un savannah..
Je commençais à m'impatienter, incrédule. Il avait ramené sa queue sur sa patte. Son mouvement avait, malheureusement pour lui, attiré mon regard. Il tentait vainement de cacher un bandage sale enroulé sur sa patte. Vu son humeur -de toute façon, il est tout le temps comme ça- je n'allais pas lui demander ce qu'il s'était fait. Le sous-chef émit un sifflement en détournant le regard, après avoir poussé un grondement. Mais moi, cela ne me suffisait pas comme réponse. Pourquoi était-il ici ? Ne devrait-il pas s'occuper des membres de Felinae, au lieu de glander à l'oasis ? Moi j'en ai parfaitement le droit : je ne suis qu'un chasseur, le groupe peut se passer de moi deux jours. Mais le sous-chef ?!

" Excusez-moi mais..Qu'est  ce que vous faites ici ? " miaulai-je, penchant légèrement la tête sur le côté.

Le matou en face de moi était figé. Il faisait quelques centimètres de plus que moi, malgré ma taille déjà imposante. Il me fixait d'un regard hautain, le menton levé. Comme s'il me prenait pour une vermine, pah ! Il doit sûrement traiter tout le monde comme son subordonné. Son sous-fifre. Je doute qu'un jour l'on s'apprécie et, encore pire, que l'on devienne amis. Au fond, je l'aimais bien. Une boule de poils autoritaire qui n'aime pas qu'on le dérange. Cela m'amusait, parfois. Je ne lui reprochais rien mais, lui, semblait avoir une dent contre moi. Je suppose que je devrais finir par m'y habituder, un jour. D'un geste de tête soudain, il envoya sa mèche sur le côté puis elle retomba, au-dessus de son oeil, comme d'habitude. Il me prenait de haut. Ca ne me dérangeait pas trop, de toute manière. Je riais presque intérieurement, pour vous dire.
" Je te retourne la question." déclara-il simplement, d'un ton qui laissait transparaître sa froideur et, peut-être, son agacement.
J'arquai un sourcil, incrédule. Visiblement, il était toujours de marbre. Je me demandais s'il a déjà ri un jour dans sa vie, le pauvre. Un sourire en coin narquois se dessina sur mes lèvres, avec une pointe d'amusement dans mes yeux et dans mon nom.
" - Eh bien, Votre Altesse, pour tout vous dire, j'avais envie de m'éloigner de la "foule" pour me reposer un peu tranquillement. Pour me changer les idées. L'oasis est un bon endroit pour évacuer ses problèmes, vous savez ? " miaulai-je.
Je lançai un coup d'oeil furtif à sa patte, où il avait son bandage. L'oasis est un bon endroit pour évacuer ses problèmes. C'était une manière de lui dire que je savais que quelque chose n'allait pas. Une manière subtile. Une manière.. provoquante, même. Je le dévisageai avec malice. Je savais que je l'énervais. Je faisais exprès. Je jouais avec lui.

Je le fixai toujours et encore. Je pouvais lire sans aucune difficulté son agaçement. Bwarf, de toute façon, même un aveugle pourrait le remarquer. Il était tout le temps comme ça.
Je commençai à labourer le sol de mes griffes, m'impatientant. Il était devenu muet, ou quoi ?! Décidément, ce matou n'était pas doué pour la discute.
" Ferme-la. Tu m'agaces." maugréa Levi.
Immédiatement, il fourra de délicieuses fleurs dans ma bouche. Il ne pouvait imaginer le goût exquis qui envahissa alors mon palais. Un grand sourire s'étala sur mes lèvres.
" - Merchi, Ô Grand-Maître Levi tout respechté. Tu n'imachines pas à quel point ch'est bon !" articulai-je.
Je mâchouillai les fleurs non sans difficulté, puisqu'il m'en avait donné une bonne dizaine. Ah, sacré Levi ! Il n'aime pas quand on l'embête, oh ça non ! Mais monsieur, c'est qu'il aime faire chier son monde !
J'étais planté là, la tête levée vers lui, avec de gros yeux ronds qui le fixaient d'un regard aussi dérangeant qu'énervant. Je balançai ma queue à droite à gauche, bien dressée en l'air. Narguer ce coincé devrait être drôle, non ? J'avais déjà hâte de voir sa réaction, lui qui est toujours de marbre.

Contre toute mes attentes, il posai un regard différent sur moi. Je ne savais pas.. Il était juste.. comme changé. Un sourire enfantin accompagnait ses yeux perdus. Puis, machinalement, il alla cueillir une touffe de fleurs, d'un mélange subtil de blanc, parsemé de rose avec quelques pointes de rouge.
Alors que j'étais toujours planté là à le regarder d'un regard étrange, il s'approcha de moi, me plaqua sur le dos et fourra les jolies plantes fleuries dans ma gueule. Je mâchai lentement, en le regardant d'un air humiliant. Levi recula en retrait, puis planta son regard sur le sol. Probablement dans un élan de curiosité, il en décrocha une de l'étendue uniforme et la déposa sur sa langue, après l'avoir longuement observée. Il fit mine de la mâcher.
" T'es vraiment bizarre comme félin, t'a gardé tes instincts de moustique ?"
Je fut pris d'un ricanement incontrôlé. Et lui, il n'était pas bizarre, peut-être ? Je le trouvais particulièrement amusant. C'est juste un chat froid -et coincé, ahah- qui n'arrive même pas à s'ouvrir correctement aux autres. Eh bien, s'il ne le souhaite pas, qu'il ne reste pas avec moi, ou le contraire risquerait de se produire.
Il ouvrit sa gueule et laissa la fleur tomber inéluctablement sur le sol. Je ramenai mon regard à lui, et il le fit aussi à son tour. Ses yeux étaient hantés d'une lueur maligne, qui était rare de voir à l'intérieur de ses prunelles de glace. J'agitai une oreille, intrigué. Allait-il enfin me montrer qui il était vraiment ?
Puis, d'un coup, comme s'il ne s'était rien passé, ses yeux perdurent leur éclat et reprirent leur aspect lugubre d'antan. Je poussai un soupir déçu.
" Oubli."
Le retour du Levi Le-Méprisant-Coincé ! Un sourire se dessina sur mon visage, comme une provoque. On ne se détache pas de moi aussi facilement. J'affrontai avec audace son regard irascible.
" Je n'oublierais pas le fait que tu as fait part à mes facéties, Sous-Chef." répliquai-je.
J'avais appuyé intentionnellement sur le dernier mot, "Sous-Chef". J'agitai le bout de ma queue frénétiquement, toujours couché sur le sol.