Le ciel était parfaitement dégagé, sans un seul nuage pour voiler la lune pleine ou cacher les étoiles lumineuses. Mes pattes s'enfonçant dans le sable, la forêt loin derrière moi, des dunes à perte de vue. Seuls mes yeux, mon bandana et ma plume se détachaient du sable. Je me fondais parfaitement dans le décor, quoique, de jour, je serais mieux camouflée. Enfin... Je plissais les yeux. Un tout petit point à l'horizon. La Ville? Ou bien était-ce des bâtiments fantômes, abandonnés et oubliés de tous, en proie au vent et au sable?
Je m'ébrouais pour me débarrasser de quelques grains de sable qui s'étaient glissés entre mes poils dorés pour aller chatouiller ma peau. Je n'avais pas froid, et pourtant je savais qu'ici, l'air était glacial quand le soleil mourait pour laisser place à la lune, et qu'en jour on était écrasé par la chaleur. Etrange climat, hmm?

Je grimpais en quelques bonds agiles et gracieux au sommet d'une immense dune, et humais l'air frais et nocturne en fermant les yeux, en me sentant comme la reine de ce monde perdu et désertique. Je rouvrais les paupières et m'asseyais avec calme. Les ailes repliées pour ne pas être incommodantes, j'observais la lueur infinie des étoiles et la pâle et douce lumière de la lune, en songeant si un jour j'arriverais à voler jusqu'ici. Impossible, je le savais; mais j'en avais tout de même envie. Qu'il y'avait-il en haut? Et s'il n'y avait rien?...
Ou... S'il y avait tout?
Je me perdais dans cette contemplation magique, en jubilant intérieurement d'avoir rusé pour pouvoir "m'échapper" discrètement de la tanière. J'avais bien pris la peine de ne réveiller personne, posant soigneusement mes pattes à côté des vibrisses des ronfleurs ou prendre garde à ne pas frôler les oreilles de ceux qui avaient le sommeil léger. Et j'avais réussi sans trop de difficultés.

Je levais à nouveau la truffe, le vent balayant ma fourrure dorée, et je sentis une odeur étrangère, inconnue, mais qui me fit de suite hérisser les poils. Tout proche, dans ce désert, il y avait un Soldat.

Je ne voyais absolument rien dans ce désert sombre, et regarder dans tous les sens, alertée par l'odeur, ne m'aidait pas beaucoup. Le stress commença doucement à m'envahir, à cause de la pénombre et de la menace de son invisibilité. La fragrance de sa Guilde était si forte, si proche, que j'avais vite su que c'était un mâle. Je le sentais qui m'observait, caché quelque part. Son pouvoir avait sûrement un lien avec l'invisibilité ou le camouflage, mais malheureusement, je ne pouvais rien faire à part rester très prudente. Les Soldats qui s'approchaient sans se faire voir des autres n'étaient pas ceux qui me rassuraient le plus. Pandémie était-elle la seule qui n'ait pas de mauvaises intentions à mon égard? Jusqu'à maintenant, je n'avais jamais eu de contact direct avec eux, du moins pas de contacts violents. Je m'étais bien battue avec un Solitaire fou à la langue fourchue, mais vaincre un ennemi invisible me paraissait difficilement probable... Surtout que je n'avais pas le cœur à le faire.

Un mouvement sur ma gauche me fit presque sursauter de surprise. Un mâle noir comme la nuit vient de surgir de derrière une dune. Se cacher ainsi derrière des bancs de sable ne suffisaient pas à me tromper; il avait usé de son pouvoir, peut-être pour mieux m'affoler? J'observe ses yeux jaunes, d'une lueur inquiétante. Je ne distingue presque pas son corps. Avec le reflet de la lune, j'aperçois également ses griffes, sorties. Elles brillent d'une lumière légèrement surnaturelle, et sont violettes. Étrange. Seraient-elles enduites d'une sorte de poison? Quoi qu'il en soit, mon ventre se noue et mon instinct me souffle de me méfier de lui. Ses paroles ne firent que renforcer mon inquiétude.

"-Eh bien, ce n'est pas très prudent de sortir seule à cette heure-ci..."

Il sourit. Sa voix est beaucoup trop calme, beaucoup trop posée pour que je sois tranquille. Son sang-froid ne fait que me faire avoir envie de paniquer. J'ai envie de m'enfuir, de ne plus entendre son léger souffle dans la pénombre. La gorge serrée, je tente de me rassurer en me disant qu'à présent, j'avais une petite idée de son pouvoir, alors que lui ignorait tout de moi. Mais ce n'était pas forcément un avantage... Je me sentais atrocement vulnérable, près de ce Soldat noir. A quoi pouvait bien me servir le don de lire dans ses pensées si je ne pouvais le voir? A le déstabiliser? J'en doutais fortement.
Retrouvant un peu mon calme, le cœur palpitant, je lui miaule, essayant de ne laisser paraître aucune peur:

"-Il est sûr qu'avec un félin comme toi dans les parages, il y a de quoi s'inquiéter," fis-je lamentablement.

C'était mal parti. Une Felinae stressée et affaiblie contre un Soldat avec beaucoup de confiance en lui me mettait dans la pire des situations possibles. Quoiqu'il se passe ensuite, j'étais décidée à ne pas me laisser marcher dessus. Pourquoi fallait-il que je tombe sur ce genre de personne, de nuit en plus?
Je plonge mes yeux émeraudes dans son regard perçant. J'avais assez de courage pour lui tenir tête au début s'il avait de mauvaises intentions -ce qui me paraissait le cas-, mais s'il tenait vraiment à me faire du mal, je n'étais pas sûre d'avoir assez d'énergie en réserve pour me défendre ou fuir. Tant pis.

Je pensais que ma phrase allait déclencher quelque chose chez lui, une réaction ou des mots, mais rien. Le sourire qui s'affichait sur son visage sombre s'évanouit pour une expression vide, comme si mon comportement craintif et méfiant lui était habituel.
Son air détaché me pousse à sonder ses pensées, mais je ne décèle rien d'agressif ou de sournois. Non, il n'a pas l'intention de me faire du mal. Je me rassure aussitôt et fus aussitôt surprise par un sentiment de... Familiarité? L'impression d'avoir déjà regardé ce pelage noir et ces yeux jaunes vifs me turlupine. Je n'ai jamais vu ce Soldat sur le peu de champ de batailles que j'ai parcourus, et ne me rappelle pas non plus l'avoir rencontré en dehors des territoires.
Pourquoi est-ce que mon cœur se serre? Pourquoi une petite voix me murmure que je connais cette personne, en face de moi?

Je tente de me ressaisir. Est-ce la peur ressentie auparavant qui me fait cet effet? Je fixe ce mâle qui s'est approché de moi, je me concentre pour me souvenir de lui. Je n'ai plus une attitude craintive, mais je déborde de curiosité et de confusion. C'est vraiment étrange. Je le connais forcément, sinon je ne ressentirais pas ce petit pincement au cœur. Chacun de ses petits mouvements m'est familier.
Le Soldat s'assoit calmement sur une dune non loin de moi, et soupire d'un air las, comme pour rejeter toute sa fatigue. Je me sens redevenir mélancolique, mais pas comme après l'évènement à l'Oasis; non, les souvenirs qui ressurgissent en moi me laissent un goût amer dans la gueule.
Mes parents. Chany. Cela faisait des mois que j'avais enfermé mon passé au fond de mes pensées. Je ne voulais plus souffrir à cause de ma famille. Mais, cette fois, j'ai plutôt l'impression que quelqu'un a mis un baume sur la blessure que leur mort m'a causée. La nuit et le vent me paraissent plus doux et calmes que jamais.

"-Tu as déjà essayé de voler jusqu'aux étoiles?"

Sa voix grave me met encore plus à l'aise, sa question laissée en suspens retentit dans le silence nocturne du désert. C'était ce que je pensais au tout début de ma balade, avant que je ne sente son odeur et que sa Guilde ne m'affole.
Je lève la tête vers le ciel. Comme pour souligner ses paroles, les nuages qui voilaient la lune se dispersent et laissent place à son pâle éclat. Quelques larmes me viennent aux yeux mais je les chasse. Je reconnais enfin ce mâle. Des anciens éclats de rires me viennent à l'esprit.

"-J'en rêve; mais je ne pense pas en avoir la force." Lui murmurais-je simplement.

Up~

second up :)

J'archive ~