Isaac se leva aux aurores, portant sur sa conscience un lourd voyage. Pas qu'il aimait spécialement se déplacer d'autant de pas dans un laps de temps aussi réduit, mais il affectionnait tout particulièrement se rendre dans des lieux éloignés; tout simplement parce que ce n'était pas très commun pour lui, et que la sensation d'y trouver quelque chose de nouveau et à peu près inconnu restait tout simplement éblouissante. Après tout, si l'on était une personne qui voulait tout comprendre de ce monde, il fallait bien voyager; et c'était un bien grand mal pour sa condition physique, certes, mais c'était un mal nécessaire. Alors ça le motivait plutôt, et il se levait rapidement. Pas qu'il appréciait non plus dormir jusqu'à pas d'heure; ce serait un gâchis affreux de temps et d'énergie, n'est-ce pas ? Le nécessaire serait suffisant, nul besoin de s'accoutrer d'heures supplémentaires, et autant se décider à partir tôt pour avoir pas mal de temps et pouvoir rentrer avant la nuit, n'est-ce pas ? Parce que ça lui semblait être la meilleure chose, après tout, et il ne réfléchissait jamais beaucoup avant de parler tout comme avant d'agir, alors c'était ce qu'il fît, aussi simplement que ça.

Trottant à un rythme plutôt irrégulier, oscillant dangereusement entre marche confiante et espèce de démarche maladroite une fois que l'énergie du matin fut usée, quelques temps encore, et il repartait à un rythme plus rapide, mais toujours aussi peu constant. Oh, ça lui prendra sûrement quelques heures, c'était sûr, même, malgré tout, ça ne le décourageait pas plus que ça. L'hiver était plutôt clément pour l'instant, et bien qu'à chaque respiration une fraîche manifestation de buée glacée sortait de son nez, il ne ressentait pas spécialement que l'air était si froid; sûrement à cause de ses nombreux efforts physiques, bien trop intense pour lui. C'était quelqu'un de plutôt frileux, ça l'étonnait lui-même qu'il ne ressente absolument aucune sensation de froid. Cela dit, plus il s'approchait de la frontière ouest, plus le froid devenait mordant, jusqu'à le faire doucement trembloter à chacun de ses pas. Non, il ne se fit nullement avoir, de par sa démarche affreusement incertaine, par les obstacles sur la route; il était trop concentré pour laisser sa maladresse habituelle l'obliger à tomber. Cette fois-ci, il saurait se montrer en fier soldat, résistant et habile à la tâche, quelque soit le prix que ça lui coûterait; une question de pseudo-fierté stupide, certes, mais nécessaire pour qu'il se sente mieux.

Le désert en hiver portait un bien étrange masque, au goût d'Isaac. Mais il ne fit pas attention à la chaleur capricieuse et au temps incertain, et se hâta de se diriger vers son objectif; au cours de sa course, il s'était fixé de se rendre aux Monts Rocheux. Oh, c'était un de ces endroits agréablement récents, découverts depuis trop peu pour qu'il n'y porte aucune attention; il ne s'y était par ailleurs jamais rendu, et cela l’ennuierait d'attendre plus longtemps. Il n'y comptait pas spécialement pour quelque chose que ce soit; il n'y aurait nul échappatoire à la triste vie dévastée, aucun remède à l'affreuse réalité, absolument pas. Mais il espérait au moins y trouver quelques herbes et plantes intéressantes, peut-être pourrait-il ainsi compléter son herbier personnel ? Ah, ça lui prendrait du temps, et pas mal de paroles, pour convaincre les autres, si jamais il tombait sur quelque chose de nouveau. Qui sait, peut-être trouverait-il quelque chose d'intéressant ? Une nouvelle espèce de quelque chose, muté à souhait ? Oh, il en frissonnait déjà d'excitation. Un nouveau lieu, c'était l'appel pur et dur de la nature, un intérêt manifesté par sa propre personne, un intérêt vif et intense, qu'on ne pouvait taire qu'en lui montrant ce qui représentait ces terres.

C'était une esquisse de montagne, comme il l'avait imaginé; poudrée de neige. C'était tout simplement magnifique; il se stoppa quelques secondes pour contempler la simple beauté de ce qui s'étendait devant lui. Qu'il haïrait être aveugle, à cet instant précis. Il resta ainsi, comme un parfait idiot, impuissant devant la majestueuse montagne blanche qui se tenait royalement devant lui. Enfin, son côté frileux le força à bouger, et il s'avança en clopinant doucement dans la neige qui avait recommencé à tomber, tremblotant comme rarement. Il faisait affreusement froid, désormais, et la neige qui devenait sueur froide dans son pelage le glaçait jusqu'aux os. Il chercha du regard un creux accueillant, un coin de montagne qui ouvrirait ses entrailles pour l’accueillir. Mais il ne voyait rien avec toute cette poudreuse blanche qui perdait son regard. Jurant pour lui-même, il tremblait trop fort pour rester au même endroit. Pourquoi n'avait-il pas la même tolérance au froid qu'un chat normal; c'était risible ! Son pelage avait beau être épais, il ressentait l'air se rafraîchir affreusement, comme si c'était une simple bête à peau nue, parmi le désert blanc.

Peut-être a-t-il enfin finit par se rendre compte qu'il n'était pas seul. La truffe glacée, il peina à reconnaître l'odeur : un soldat ? Alors il demanda, bien que ce n'était pas utile, étant donné qu'il savait ces faits établis :

« Il y a quelqu'un? »


Après tout, il n'était pas trop tard pour monologuer avec quelqu'un au lieu de s'attarder à chercher un refuge, quelque soit la température.