Une ombre se glisse parmi celle omniprésente de la nuit, furtivement, sans un bruit, avec comme seuls témoins les milliards de lumières illuminant le ciel d’été, du moins, c’est ce que l’Ombre pensait…

Le sable est encore chaud sous mes coussinets. La nuit est tombée depuis peu et à pourtant tout engloutis, dont les ténèbres de mon cœur, mais cela depuis bien plus longtemps que quelques heures. Une simple mission d’exploration, une sorte d’entrainement à celles qui suivent et qui, cette fois, seront bien plus risquées que celle-ci. Pourtant, mon cœur bat à la chamade, et malgré mon masque de glace, illuminé par les deux émeraudes que sont mes yeux, mon esprit est en proie à une forte confusion. Quiconque aurait la mauvaise idée de s’y infiltrer deviendrait fou à lier, fou comme mon Démon. Elle a accepté de combattre avec moi, mais n’a en rien promis d’arrêter de me torturer l’âme et de me souffler toutes allusions sadiques possibles et inimaginables. Je me demande encore comment je fais pour ne pas avoir cédé depuis ces nombreuses lunes. Je me suis lancée dans cette randonnée alors que le crépuscule naissait à peine, évitant ainsi de finir avec les pattes en cendre à cause du sable brulant sous le soleil. Dans mes multiples réflexions, cherchant à ignorer les ignominies de mon double, j’en étais venue à un certain point, à me demander pourquoi ces humains de malheur n’avait pas encore trouver de moyen de tirer une quelconque énergie de cette fournaise mortelle qu’était le désert. Toujours dans mes pensées, un murmure rauque, glaciale, souffle dans mon crâne :

« Cette chaleur sous nos pattes ne te rappelle donc rien ? Pas même le délice du sang chaud jaillissant tout juste de notre victime, sur tes griffes? »

Ces paroles laissaient un métallique goût de sang dans la bouche, me donnant presque la nausée face à ses horribles paroles, qui furent rapidement suivis d’un ricanement sadique à en glacer le sang. Je devais me battre chaque jour pour ne pas céder, perdre la raison, ou laisser mon Démon prendre le dessus. Ce n’était pas moi, enfin si, je savais que cette moitié d’âme était à l’origine la mienne, et qu’elle fait ainsi et pour toujours partie de moi, mais je ne pouvais accepter qu’une telle violence régnait dans mon cœur, avant… avant l’Opération. Rien qu’à cette idée, une grimace s’affiche sur mon visage.

Continuant à avancer à vitesse constante, je finis par distinguer une silhouette, légèrement plus sombre encore que le ciel nocturne, se détacher de l’horizon apparemment infini, du désert. En me remémorant les informations que l’on m’avait données sur les différents lieux déjà explorés, et en réfléchissant à mon temps de marche, je supposai être arrivée à la carcasse d’avion. Un léger sourire se dessina sur mes babines à l’idée de pouvoir un peu me reposer. Après quelques minutes, les détails qui m’apparurent me confirmèrent mon hypothèse. Je finis par m’asseoir sur une pièce de métal détachée du reste, me permettant d’avoir une assez belle vision d’ensemble de cet échafaudage humain. Si pour certain le calme absolu y régnant pouvait angoisser, il était pour moi reposant, rassurant même. Ayant pris l’habitude de m’isoler depuis ma sortie en laboratoire, l’isolement s’assimilait à une sorte de protection, aussi bien pour moi-même que pour les autres. A y réfléchir, surtout pour les autres. L’absence d’êtres à torturer n’encourageant pas ma double personnalité à prendre le dessus.

Alors que je commençais à être détendue, voir relaxée, un crissement inattendu me fit hérisser le pelage, vu où cela se situait, cela ne pouvait être un rongeur, ni un lézard, le soleil ayant disparu. Je n’étais plus seule. Tandis que mon masque de glace se reformait et que je sortais les griffes, des volutes rouge sang apparurent dans mon œil gauche, signe que j’étais prête à me battre si besoin. Mon instinct m’indiquait la présence d’un étranger, et mon odorat m’assura que ce n’était ni un Caméléon, ni un Felinae. Cela ne pouvait donc s’agir que d’un solitaire… ou pire, d’un Soldat ! Les deux pouvant être tout aussi dangereux… Surtout pour une femelle ridiculement petite et seule comme moi. J’avais toutefois un atout : Démone. Avant que le félin ne se décide à me sauter dessus, je descendis sans un bruit, camouflée autant que possible par mon pelage aussi sombre que mon environnement, afin de me poster à un lieu où je pourrais être moins visible, et surtout, plus facilement riposter… ou m’enfuir.

Les oreilles droites, les pupilles dilatées afin de recevoir un maximum de la froide lumière des étoiles, entrouvrant légèrement la gueule afin de mieux analyser les odeurs, tous mes sens étaient en alerte. Il y avait quelqu’un, j’en étais désormais sûre et certaine. Acculée sous une plaque de métal dont la chaleur commençait à s’échapper sous le ciel nocturne. Après quelques secondes d’attentes qui me parurent durée une éternité, une ombre féline se dessina enfin non loin de moi. Cette dernière continuait de s’avancer, dans un silence presque surnaturel, je finie par deviner un aspect famélique, presque cadavérique. On pouvait voir les côtes saillir sur ses flancs, et son ventre tout juste existant montrait que le chat n’avait probablement pas avalé la moindre bouchée de nourriture depuis des jours. Je fronçai du museau lorsque son effluve vint à moi. Un effluve légèrement nauséabond, où l’on pouvait presque sentir les nuances métalliques et salées du sang. Prête à me battre, tendue, cet être ne me disait rien qui vaille. C’était très probablement un Solitaire, et vu son état, je ne savais pas à quoi m’attendre.

Le félin, s’avérant être un mâle, s’arrêta à quelques longueurs de queue de moi. Je pu enfin discerner son pelage, d’un gris sombre, et son visage. Son visage ?! J’écarquille sans le vouloir les yeux lorsque je me rends compte de l’apparence du matou. Il semble ne pas en avoir. Un masque bleu foncé habille sa tête, ce denier à une apparence légèrement humaine. Sans ciller, je plonge mon regard dans celui inexistant du mâle. Un étrange liquide noir, semblable à du goudron ou du pétrole, s’échappe de ses orbites. Est-ce là la cause de son étrange et dérangeante odeur ? Une voix grave, éraillée, provenant de sa gueule cachée, s’adresse à moi.

« Hum hum ? Pardon de vous déranger, ma demoiselle, vous êtes-vous perdue ? »

Chaque mot semblait difficilement articulé, réfléchi. Il n’avait visiblement pas l’habitude de communiquer. Je venais donc de trouver une personne encore plus associable que moi ? Voyons quelle question idiote, il a bien le droit de l’être, lui ne doit pas cohabiter avec d’autres compagnons de guilde. Est-ce son apparence qui le poussa à s’exclure de toute société ou était-ce un choix ? Il me faisait penser à moi. Peut-être suis-je égocentrique et que je dois tout faire tourner autour de ma misérable vie, mais il semblait au moins autant torturé que moi. Que pourrais-je dire à ce mâle sans risquer de dévoiler une information qui me rendrait plus vulnérable que je ne lui déjà ? Je sais, je vais la contourner de façon à ce que je n’ai pas à me présenter. Cependant c’est plus facile à dire à qu’à faire… Je sens une volute rouge sang traverser mon iris gauche, me picotant légèrement. Je ferme les yeux une seconde avant de les rouvrir, le temps d’informer l’Autre qu’il vaudrait mieux qu’elle ne se dévoile pas tout de suite, je lui en donnerai tout le loisir si cela devait mal tourner. Cette promesse de combat lui suffit et mon œil retrouva son émeraude complète. Toujours mon regard plongé dans celui qui me faisait face, prête à réagir à la moindre posture agressive du félin, je répondis, d’une voix claire, fluide, mais aussi distante et froide :

« Salutation félin. Jusqu’aux dernières nouvelles, il me semble ne pas être perdue. Loin de là. Et vous ? Que faîtes-vous là, dans un endroit si hostile, d’autant pour votre condition ? »

Sans juger sur les apparences, il vaut mieux pour moi que j’en apprenne un peu plus sur un possible adversaire. Mes ailes tendues et plaquées contre mes flancs, j’étais, ou plutôt Démone, était prête à s’emparer des chaînes les entravant. Quelques gouttelettes de sang perlèrent sur les anneaux de métal ainsi que sur mes plumes d’ébènes.