J'ai cherché la réponse à cette question des jours durant. Mais rien. Seul du vide à répondu à ma question, du vide et de l'indifférence. Pourtant, un humain aux yeux gris acier et aux poils de tête courts et blancs ça doit se remarquer, non ? J'en ai déjà croisé quelques uns et aucun n'avait son odeur si particulière, ni la finesse de ses traits ou la douceur de son regard. Je n'ai vu que des visages mornes, ceux des scientifiques et des soldats, que des coupes de cheveux en brosse et des moues figées. Pas cette chaleur. Pas ce sourire. Pas ce teint si foncé et si marqué par le temps. Il était beau mon humain, enfin autant qu'il peut l'être sachant qu'ils ne sont pas gracieux et qu'il leur manque beaucoup de fourrure, mais pas que à l'extérieur. Il dégageait cette chaleur, cette passion et cette présence sécurisante qu'il avait me manque. Quelle ironie de savoir que les trois uniques mois que j'ai passé chez lui restent plus beaux que tous ceux que j'ai vécu par la suite. Alors, puisque je ne pourrai probablement jamais savoir ce qui est advenu de lui après cette fameuse nuit d'explosions et de cris, je me demande autre chose : est-ce que d'autres humains comme lui existent ? Après tout c'est vrai que je ne suis que rarement, voir même presque jamais, allé dans le quartier ouest, où réside pourtant tous les humains qui ne sont ni rattachés à la Caserne, ni rattachés au Laboratoire. Ce doit donc être là bas qu'ils élèvent leurs petits, qu'ils gardent leurs affaires et qu'ils passent toutes leurs journées. Et c'est cette question qui m'a fait quitter la fraîcheur de l'intérieur pour une exploration de fin de journée. C'est déjà le crépuscule, le ciel se teinte de milles couleurs rosées. Plutôt joli. L'air paraît presque frais tant la chaleur qui a régné pendant la journée était brûlante. Je suis obligé de marcher vite, le bitume est trop chaud. J'ai presque peur d'avoir des cloques à mon retour.

Quand j'arrive au quartier ouest tout est encore silencieux. Presque trop même. Je me souviens encore de ce bruit quand tout allait bien, de ce léger brouhaha joyeux qui animait les rues et que l'on pouvait entendre depuis notre appartement pourtant au sixième étage. Je me souviens des odeurs qui flottaient dans l'air quand les voisins se mettaient à faire la cuisine ou encore de ces légères secousses dans le bâtiment quand les petits humains s'amusaient à envoyer une balle sur le mur pour leurs jeux. C'était plein de vie. Là tout est mort. Quand j'avance dans les rues j'entends bien des brouhahas mais ils n'ont rien de joyeux. Ce sont les chuchotements de ceux terrés dans l'ombre, dans l'attente de la prochaine catastrophe. Ceux qui ont déjà tout perdu mais ont encore peur qu'on trouve quelque chose de plus à leur enlever. On dirait que tout ici est fait pour ne pas déranger le silence. Les rues sont vides de monde, probablement parce que tous cherchent à fuir la chaleur, pas un enfant ne déambule en s'amusant, pas un adulte ne marche à la recherche d'une chose à faire. Je me sens bien seul dans ces grandes rues désertes. Au pieds de quelques murs pointent des petites fleurs blanches comme j'en avais déjà vu dans le quartier nord, mais elles ne font que renforcer mon sentiment de solitude. J'en ai même des frissons. La seule chose qui est présente, comme avant, ce sont les odeurs. Les humains ont dû manger il y a peu de temps car dans l'air se mélangent plusieurs fumets, à la fois ceux de toutes les personnes qui vivent ici mais aussi et surtout de ces bonnes cuisines quelles ont préparé. Je me souviens que mon humain mangeait principalement des soupes et des bouillies, qu'on lui livrait toutes prêtes, emballées dans des sachets qu'on livrait une fois par semaine en gros paquets. Tout était desséché, mais lui, il ajoutait toujours quelques herbes pour en relever la saveur. J'avais goûté une fois et, même si je me souviens principalement m'être brûlé la langue, je crois aussi me souvenir que j'avais aimé. Malheureusement ça je n'en suis pas sûr, mais, dans le doute, je préfère croire que j'avais aimé. Dans un soupir je prends le chemin du retour. Si je cherchais des réponses ce n'est pas ici que je les aurai trouvé de toute façon. Je ne dois pas chercher à recréer des souvenirs, cela ne sert à rien. Il faut juste entretenir ceux auxquels on tient, coûte que coûte, car ce sont eux qui nous permettent de ne pas jeter l'éponge lors des moments de doute. Une leçon un peu banale, sans doute, clairement pas originale, mais probablement la meilleure à retenir de toute cette visite.