Ça parait bête de dire ça, évidemment que chaque jour est différent. Pourtant, j'ai dans la bouche ce petit goût amer qui me rappelle à quel point je viens de passer une journée déprimante. Je suis resté assis ici pendant des heures. Le laboratoire. J'attends que ce soit mon tour, j'attends qu'on prenne la peine de me soigner. Ma blessure, tantôt en pleine guérison, tantôt saignant de nouveau, rend ma respiration sifflante et douloureuse. Je me suis pris une épine, un véritable dard, taillée pour traverser la peau des ennemis, droit dans les côtes. Je n'avais eu aucune chance face à lui, pourtant un de mes camarades, qui ne voulait que prouver sa force. Il était ressorti fier et vainqueur, j'étais ressorti humilié et vaincu. Et maintenant ? Maintenant je suis déprimé. Devant ma truffe dansent deux papillons, tous blancs, tournoyant emmêlés jusqu'au firmament. Pourtant une vitre nous sépare. Un monde aussi. Car voilà les faits. Je suis prisonnier de cette vie, nous le sommes tous. On court droit vers l'abattage, peu importe le camp qu'on choisit. Pour un qui survit ce sont mille agonisants et j'en fais déjà partie. Depuis longtemps. Je ne suis pas de nature défaitiste pourtant. Mais en cet instant tout me semble vain. Qu'importe le choix que je fais quelque chose finit par me manquer. En allant chez les soldats j'ai perdu mon frère et Bali. Douce Bali... En vivant en solitaire j'ai failli perdre la vie. En vivant chez les Caprae j'aurais perdu mes principes. Et ne parlons pas des Ophéis, j'y aurais perdu le goût de la liberté. Où que j'aille je ne trouve plus ma place. J'aimerai bien être un papillon moi aussi, enfin peut-être, je n'en sais rien. Qui peut dire comment eux voient le monde ? Quand je vois mes camarades je me dis qu'ils sont aveugles et sourds... Aveugles à la déperdition qui se rapproche pourtant à grands pas, sourds aux pleurs de ceux qui perdent tout peu à peu. On a déjà perdu la bataille contre le temps, ne le voient-ils pas ? Les soldats se font abattre en masse sur les champs de bataille. Ceux qui ne sombrent pas dans la masse se font descendre à bout portant. Combien sont déjà morts sous les ordres des humains ? Tous avec une vie, une famille, des espoirs, et un fait : ils ne pensent pas mourir. Personne n'y pense. Sauf moi maintenant. Tout le monde pense un jour revenir. L'inconscient est immortel, il ne connait pas de fin. Pourtant, voilà qu'au dessus de ces corps ne reste que le vol des papillons, ces papillons si légers, si fins, qui ont réussi à survivre au temps et à la guerre. Et actuellement je suis au centre de ce qui est à l'origine de tout. Le laboratoire, cloaque répugnant duquel sortent les pires abominations. Cloaque dans lequel je dois me réfugier pour être soigné. Je suis tombé bien bas, j'en ai peur. Cet enfer aseptisé me dégoûte autant qu'il m'effraie par tout ce qu'il signifie. J'ai le cœur affreusement lourd, trop lourd pour mon petit corps. J'ai l'impression que si j'avance, si je sors de cette pièce, il restera là, continuant à battre. Quelque chose, soudainement, traverse le couloir, me sortant légèrement de cette catatonie dans laquelle je suis en train de tomber. Céder à la déprime n'est pas mon genre et ce n'est pas non plus une bonne chose. Je regarde une dernière fois les deux papillons blancs s'envoler, avant de sortir à mon tour dans le couloir. Je laisse derrière moi quelques gouttes de sang, coulant occasionnellement par le trou qui s'ouvre non loin de mes poumons. Là bas, il y a bien une chose qui court, rapide, à ras du sol. Je tente de la suivre mais elle est très rapide et ma blessure me ralentit d'autant plus. J'entends des cris, des bruits, là où elle se dirige. Quelle est donc cette chose ? Sur le sol gît une feuille grasse, verte et rayée. Je n'en ai jamais vu de telle. Espérant oublier ma peine je me mets à la suivre, cherchant une sortie, autant du laboratoire que du labyrinthe de mon esprit.

Rien n'y fait. Une main me saisit. Une deuxième raffermit la prise. Et voilà qu'on me soulève, simplement, calmement. On me pose sur une table, on s'affaire. Il est temps de me soigner. Je n'ai plus qu'à espérer dans ce cas. Après tout la vie finira bien par passer. Demain sera un autre jour.