Time is an illusion.
« avec Eyes. »
Anchanté était calme, incroyablement calme. Cela faisait bien longtemps qu'il voulait se rendre ici, dans cette gare enfouie. Avant de se faufiler hors de la caserne, il avait demandé le plus de renseignement qu'il pouvait. C'était une simple précaution, mais elle servait plus à rassurer sa peur constante de l'inconnu qu'à prévenir un véritable danger.
Quelques lierres grimpant, aux propriétés sûrement étranges, ondulaient sur la paroi unique du souterrain tandis que les rayons du soleil qui arrivaient à se plonger dans le dôme réchauffaient chaleureusement l’endroit. Anchanté, lui, était tombé dans un demi sommeil prudent, gardant ses yeux mi-clos à l’affut des bruits alentours. Il est vrai que ce n’était pas particulièrement utile vu que si quelqu’un ou quelque chose lui voulait réellement du mal, il serait presque vulnérable à toute attaque imprévisible. Mais le fait est que, au point où il en était, Anchanté en avait strictement rien à foutre. Pas qu'il ne tenait pas à sa vie, mais dans l'immédiat il se sentait si bien, si pronfondément apaisé qu'il n'avait ni la force ni l'envie de faire le moindre effort d'attention. Tant pis. Il est vrai que quelques rumeurs couraient au sujet d'éventuels monstres et insectes difformes se cachant ici, il est vrai qu'un éternel danger planait sur l'endroit. Mais après tout, maintenant, cela revenait au même. Nous n'étions en sécurité nul part, et le Soldat était si lassé de cette peur continuelle dans laquelle il survivait qu'il se contentait d'apprécier l'instant présent. Ah, ce n'était pas franchement son genre. Mais après tout, ça arrive à tout le monde de ne pas être soi-même, n'est-ce pas ?
Une douce brise apaisante régnait dans l’atmosphère et, même si on entendait ça et là le bruit d’un petit insecte rampant, le paysage émanait une telle harmonie qu’il ne s’en souciait point. Seul le tic tac régulier, incongru, résonnant de l’horloge antique troublait ce silence presque parfait. Pour une raison qu'il ne put déterminer, il s'était dirigé vers le cadavre à ventre ouvert de ce qu'on appelait auparavant un train : celui-ci était presque entièrement détruit, écrasé sous le poids d'un éboulement de rochers. Seul deux wagons subsistaient encore, debout sur les rails rouillés qui se frayaient un chemin à travers le sol. C'était un engin autrefois supposé emmener les Humains d'un endroit à l'autre plus rapidement, paraît-il. Attiré, il se dirigea vers la machine et y monta d'un simple bond, avança à pas léger dans ses entrailles et découvrit une succession identique de petites banquettes, étrangement bien préservées. L'intérieur du train avait extraordinairement bien survécu au temps et au danger, et le papier peint du mur n'était presque pas déchiré, comme le cuir des sièges. Finalement, il s'installa sur une banquette dont la vitre était brisée et laissa ses pensées affluer.
Son imagination, pourtant d'habitude si renfermée, se trouvait en effervescence perpétuelle à chaque fois qu'il lançait son regard autour de lui. Après tout, les lieux descellants un passé, une histoire remontant à des décennies de notre époque étaient bien la seule chose qui arrivaient à raviver la flamme de sa curiosité, à présent. La civilisation humaine était fascinante, vraiment.
Le temps passait. Lentement, sans vraiment que le Soldat ne s'en rende compte, mais cela importait peu. On aurait pu présumer qu'Anchanté perdait son précieux temps libre, mais un être aussi frustré et compliqué que lui avait besoin de ce temps de réconfort.
[...]
Un écho bruissait. Sa portée était si faible qu'Anchanté, mal luné, se demanda s'il n'avait pas bêtement halluciné. Mais quelques secondes plus tard, un bruit retentit à nouveau et il avait la certitude qu'un autre félin explorait ces lieux. Il sortir de son refuge et se mit à humer l'air instinctivement, froissé que quelqu'un puisse se pointer ici. La présence de l'autre était lointaine, étant donné que la gare se prolongeait assez longuement, mais il finit enfin par trouver l'odeur de celui qu'il cherchait. Il redoutait que ce soit un de ces Felinaes fiers et trop sûrs d'eux, d'insupportables et inutiles soi disant justiciers, mais n'avait pas non plus envie de discuter avec un quelconque Soldat. Peu à peu, il semblait se rapprocher du but et il finit par deviner l'odeur mélangée et hasardeuse des Solitaires. Il fit un pas instinctif en arrière, redoutant l'imprévisibilité des Solitaires, qui n'était jamais bon présage. Enfin, il est vrai qu'il n'aurait sans doute aucun problème à se battre ou à s'enfuir si l'envie le prenait, mais l'anxiété qui montait brusquement en lui et la frustration de ne pas savoir à qui il avait affaire l'empêchait de réfléchir correctement. Tout son calme était perdu, et son anxiété soudaine l'avait sûrement fait repérer. Il inspira un grand coup, tentant de retrouver son souffle et finit par continuer sa marche, cette fois-ci son éternelle expression vide collée au visage.
Le Solitaire s'avérait être un mâle d'un air assez âgé, ayant une carrure svelte et élancé mais surtout un regard fin qui semblait voir à travers les apparences. Anchanté resta à l'observer quelques secondes, cherchant la trace d'une éventuelle modification jusqu'à ce qu'il se décide finalement à approcher l'inconnu, entrant dans un rayon d'une vingtaine de mètre environ. Ce n'était pas particulièrement par politesse qu'il se forçait à une conversation - et il haïssait d'ailleurs ce genre de banalités - mais plutôt par nécessité, vraiment.
« Bonjour. Que faîtes vous par ici, à une si belle heure ? demanda-t-il simplement.
Maintenant que les deux étaient à distance raisonnable, il avait la certitude que quelque chose n'était pas clair chez ce chat. Ses yeux avaient quelque chose d'étrangement dérangeant, et Anchanté ne put exactement deviner ce que c'était : cette impression qu'ils étaient capables de le percer à vif le rendait mal à l'aise, bien qu'il gardait toujours la tête haute, et un visage imperturbable.
Il y avait quelque chose d'autre, aussi. Un mauvais pressentiment qui mettait tous les sens du Soldat en alerte, quelque chose qui venait des tréfonds de ses entrailles, qui remuait dans son corps tout entier et qui lui criait de prendre garde. Qui lui criait de fuir celui qui se trouvait devant lui.
Mais après tout, que pouvait-il bien lui arriver ?