Marcher, toujours et encore. C'était là tout ce que je pouvais faire. Depuis combien de temps je fuyais ce qui aurait dû être mon destin? Pourquoi j'avais fui en fait? Tenter de m'en rappeler me donnait plus soif que d'ordinaire. Ah, ça me revenait, j'avais fui par peur, une émotion que je n'avais pas ressenti depuis longtemps. Il m'avait aidé à m'échapper par les égouts, un endroit à peu près sûr aux premiers abords mais boire de l'eau sale et me nourrir de choses douteuses ne m'avait que rendue malade pendant un temps. Et puis rester au même endroit était dangereux, j'avais donc quitté cet endroit malpropre pour remonter à la surface, quittant la ville tout simplement, le pelage terne et la mine pitoyable. Trainer dans la boue, je le faisais souvent sur le terrain mais là... C'était bien pire.

J'avais perdu la notion du temps rapidement, incapable de savoir où se trouvait le Nord, et encore moins où j'allais. Avais je un but? Non. Je n'avais personne dehors qui pourrait m'héberger. En fait je n'avais pas quitté la ville autrement qu'avec mon unité. Ce que j'avais fait était idiot, stupide, je n'avais pas réfléchi, encore une fois. Quelle idée de s'enfuir dans ma situation? Si j'étais restée, je ne serais pas affamée et déshydratée, boitillant et les coussinets douloureux et... J'aurais perdu ma liberté...

Je passai ma langue sur ma truffe, haletante, le sol était mouillé et chaud sous mes pattes, non, ce n'était pas de l'eau, la pluie ne pouvait pas être chaude ici, enfin je crois, je n'arrive plus à réfléchir correctement. Je finis par m'effondrer par terre. Avais je trébuché? Aucune idée, peut-être que je n'avais plus la force pour avancer. De l'eau glougloutait pas loin, une rivière? Où? Les sons me semblaient venir de partout à la fois. Je tentai misérablement de me trainer, espérant que le point d'eau ne soit pas trop loin mais je ne faisais que barbouiller la terre de pourpre. Je réussis à relever la tête, incapable de voir distinctement ce qui m'entourait, tout était flou et se dédoublait, l'eau était à quelques mètres de moi tout juste, enfin, était ce de l'eau? Je vis du mouvement plus loin, était ce un arbre qui venait de bouger? Plutot un tronc, c'était plus grand qu'un chat adulte mais pas aussi grand que les sapins qui constituaient cette forêt. Je plissai des yeux, non, c'était un... Ah, je n'avais même plus la force de donner des noms à des objets, c'était donc la fin non? Je tentais néanmoins une approche, il devait être dans mon champs d'action. Je continuais à le fixer tout en me concentrant, créant un lien télépathique entre nous, cela n'allait agir que quelques secondes vu mon état mais c'était suffisant. Déjà, c'était un camouflage, je ne pouvais que communiquer avec mes semblables, enfin, je n'avais essayer qu'avec eux donc si ça se trouve, je me trompais.


Un voile noir couvrit ma vue et je me sentis partir, assommée par la migraine que m'apporta mon action désespérée. J'eus le réflexe de trainer ma queue contre mon corps avant de totalement sombrer dans les ténèbres de l'inconscience.

Décidément, ça n'allait pas, mais pas DU TOUT. Je n'avais rien à faire, comme d'habitude... J'avais décidé de longer le ruisseau, pour me défouler, et accessoirement pour ne pas trop me perdre. Parce que me perdre, je savais bien le faire, ah ça, oui! Au bout d'un moment, je sentis une odeur vraiment, vraiment désagréable, mais très ténue. Comme de l'eau croupie... ou... je ne sais pas. Je décidai de me rapprocher de cette odeur... Puis j'entendis une voix, dans ma tête, très faible. Je me doutais que ce n'était pas normal, mais j'écoutais quand même au cas où, qui sait.
"A... a l'ai...aide..."
Ça, je pense pas avoir pu l'inventer. Quelqu'un, par ici, avait besoin d'aide. Je regardais autour de moi, quand je vis une forme bouger sur le sol. Je m'en approchai en courant: c'était un chat. C'était d'ailleurs de ce chat que provenait l'odeur. Et peut-être la voix? C'était une chatte, alors...
Raaah! Mais c'est pas vrai, je m'étais encore perdue dans mes pensées!
Elle était en vie, mais tout sauf en forme. Je courrais chercher une grosse boule de mousse-j'en avais vu non loin, pendant que je tournais en rond- et allai la tremper dans l'eau. Je retournai près de la chatte, sans perdre la précieuse boule de mousse. Par contre, je n'avais aucune idée de ce que je devais faire maintenant... Vu comme elle semblait affaiblie, je doutais de pouvoir la réveiller maintenant. Je tentais délicatement de lui écarter les mâchoires avec mes pattes, et de lui faire couler l'eau dans la bouche. C'était probablement une des pires idées qui soit, mais il n'y avait personne d'autre aux alentours, et je n'étais franchement pas inspirée par rapport à la Méthode de Sauvetage d'un Chat Agonisant.

Où étais je? Je n'en avais aucune idée. J'avais l'impression de flotter dans un monde inconnu et connu où l'espace et le temps n'existaient pas. Les ténèbres. Pas celles que l'on cotoie lorsqu'on dort, elles n'étaient ni froides, ni chaudes, rien n'y vivait, le subconscient n'avait aucune emprise ici. Mais je savais que je les connaissais, au plus profond de mon être. C'est là que je me retrouvais après les tests épuisants que me forçaient à faire les humains. Douce amertume d'y repenser, la noirceur de ce lieu se teinta de couleurs, mes souvenirs. Dés que je pensais à quelque chose, ce lieu me le faisait voir. Incapable de fuir, j'étais obligée de revoir mon passé en boucle, de revoir des personnes que je voulais oublier. Ces humains, ces soldats, cette famille retirée sans mon avis, ce chat... Ce chat, celui qui m'avait sortit de ce pétrin, était il encore en vie? Allait il bien? Pourquoi n'avait il pas voulu me suivre? Pour...

-Quoi...?

Quelque chose de froid coulait dans ma gorge, glissant sur ma langue pateuse, je me mis à tousser, avalant de travers l'eau au gout étrange que l'on faisait couler dans ma gueule. Je fis une grimace, mauvaise idée, l'eau coula sur ma truffe et dans mes yeux. J'usai des seules forces que j'avais regagner dans mon inconscience pour tenter de griffer celui qui osait m'arroser comme ça puis je roulai sur le coté pour me remettre sur mes pattes. Encore une mauvaise idée. La douleur de mes coussinets remontait dans ma tête telle un feu liquide. Je lachai un miaulement enroué avant de m'effondrer à nouveau, de nouveau dans le même état qu'avant mais cette fois ci avec les idées plus claires. Ils m'avaient retrouvé! Il faut que je parte!

Je vis que la chatte commençai à se réveiller, et commença à tousser. J'éloignai précipitamment la mousse, histoire d'éviter de la noyer, mais le temps que je réagisse, je lui avais déjà trempé la figure.
"Oups", pensais-je à ce moment-là. Elle tenta de me griffer, mais j'étais à peine trop loin, puis tenta de se remettre sur ses pattes. Elle poussa un miaulement avant de retomber.J'essayai de prendre une voix rassurante, et dis:
H-Hé, arrête de t'énerver, tu vois bien qu'ça sert à rien!
Non, je n'avais strictement rien de mieux à dire.Je décidai de retourner chercher de l'eau, puisque j'en avais fait tomber les trois quarts par terre, tout à l'heure. Puis je retournai à ses côtés, mais puisqu'elle était réveillée, je posai la boule de mousse sur une pierre plate à sa gauche. Elle boirai si elle en avait envie. Ensuite, je me plaçai en face d'elle, m'assis, et attendis. J'essayais de prendre un air détendu, en espérant qu'elle comprenne bien que je n'était pas une menace. Bon, d'accord, j'avais failli la noyer, mais ce n'était pas mon intention. J'attendis sa réaction.

H-Hé, arrête de t'énerver, tu vois bien qu'ça sert à rien!

Je ne reconnaissais pas la voix de mon... agresseur? Plutot un étranger. Un étranger que j'avais tenté de blesser comme tant d'autres. Chasse ça de ta tête, Esme, tu étais obligée mais c'est fini maintenant! Je me concentrais sur ma respiration saccadée, mes coussinets me brulaient comme jamais, même l'air me faisait mal. Je l'entendis revenir puis poser ce qui semblait être de la mousse mise en boule imbibée d'eau sur une pierre. Elle devait avoir peur maintenant. Elle car c'était bien une chatte qui m'avait sauvé de mon triste sort, pourtant c'était bien un loup que j'avais vu sur l'autre rive, à moins que j'avais halluciné? Vu mon état, il était fort probable que ce soit le cas. Je me trainais comme je pouvais jusqu'au rocher à la forme irrégulière et aplatie, prenant la boule de plante entre mes crocs, têtant presque. Ce que c'était bon... Je ronronnais et balayais le sol avec ma queue pour montrer ma satisfaction. Même si l'eau avait un gout étrange, c'était mieux que rien! Une fois gargarisée et les idées plus claires, je tournais la tête vers l'étrangère qui attendait une réaction de ma part, très calme.

-M-merci... Qui êtes vous?

J'espérais intérieurement que ce n'était pas une recrue ou une soldate que je n'avais pas croisé dans les rangs. Je ne voulais pas retourner là bas et encore moins dans une cage.

Je la regardai se traîner jusqu'au rocher, et boire patiemment, évitant à tout prix de faire les cents pas pour ne pas l'affoler. Elle se mit à ronronner, et je compris que j'avais bien fait de retourner chercher de l'eau. Elle fini par tourner la tête vers moi, et me dit:
M-merci... Qui êtes-vous?
Je me retint à grand-peine de grimacer en entendant le "vous", n'étant pas vraiment habituée à être vouvoyée. D'habitude, c'était plutôt moi qui devait vouvoyer les autre. Je répondit:
Y'a vraiment pas d'quoi! Je m'appelle Cyani, je suis une Caméléon. Et vous?
Je me demandais vraiment ce que cette chatte pouvait bien faire ici, surtout en aussi mauvaise forme. Je la connaissais même pas! Il y avait vraiment peu de chances pour que ce soit une Caméléon, j'avais une mémoire pourrie au niveau des noms, mais je retenais quand même plutôt bien le visage des autres chats. Peut-être une Felinae? Je doutais aussi que ce soit une Soldate, sinon, j'aurais déjà été réduite à l'état de bouillie suspecte depuis longtemps, je pense. Ou une Solitaire? Non les Solitaires ont l'habitude de se débrouiller seuls, ce serait impensable que l'un d'entre eux ne se retrouve dans cet état...

Je me retenais de toutes mes forces pour ne pas macher la boule de mousses, en quête d'un peu d'eau. Depuis quand avais je bu? Je ne sais pas... Ou plutot je ne sais plus, comme le temps que j'ai erré dans les environs et dans les égouts. Etrange comme le temps perd toute notion dans de tels situations, peut-être parce que si on comptait les jours et les autres mesures temporelles, on perdrait la raison...

Y'a vraiment pas d'quoi! Je m'appelle Cyani, je suis une Caméléon. Et vous?

Elle avait trop parlé, c'était beaucoup trop d'informations à analyser pour mon cerveau embrouillé. Cyani, ok, j'avais compris que c'était son nom. Caméléon... Qu'est ce que c'est? Son nom de famille? Et elle voulait savoir qui je suis, la prudence n'eut pas le temps de m'arrêter, j'obéissais automatiquement sans penser que cette inconnue pouvait être dangereuse.

-Soldate Esme, Seconde Ligne... Une Caméléon?

J'arrivais de moins en moins à réfléchir, la fatigue prenait la place de la soif. Sérieusement, combien de temps avais je marché? Mais il n'y avait pas que ça qui m'inquiétait... Devais je m'en inquiéter en fait? Depuis ma fugue, je n'avais pas pris le temps de me concerner à ce sujet...

Elle mit un peu de temps à répondre. Raaah, j'avais encore tout déballé d'un coup... Elle me répondit :
Soldate Esme, Seconde ligne...Une Caméléon ?
J'enregistrai son nom dans un coin de ma cervelle, mais prêtai surtout attention au premier mot : "Soldate". Je sentis mes poils se dresser sur mon dos, et me retint à grand peine de cracher et de faire un bond en arrière. À la place, je me contentai de me mettre debout, les oreilles couchées en arrière, réfléchissant à ce que j'étais sensée faire. C'était un Soldate, certes, mais elle avait l'air sérieusement affaiblie, et c'était hors de question, pour moi, de laisser quelqu'un, fusse-t-il un Soldat, dans cet état... Que faire ? Je tentai vainement de me calmer. Après tout, ce n'est pas dans comme ça que j'allais l'aider. Je demandai :
"Que fais-tu ici ? "
Heureusement, j'avais réussi à effacer toute trace d'agressivité dans ma voix, mais cette "Esme" avait probablement senti l'odeur de ma peur.

Je la vis réagir étrangement à ma réponse, pas d'agressivité, à moins qu'elle se retenait? Je devais délirer, je sentais à peine mes coussinets alors avoir des propos cohérents... Elle hésitait à me répondre, ce qui m'alertait intérieurement. Si elle m'attaquait, je ne pourrais pas l'esquiver et fuir, encore moins me battre, je ramassais ma longue queue touffue contre mon ventre, cachant à moitié mon visage dans la masse de poils emmêlés et cassants, à cette pensée. Une réaction qu'elle allait sans doute mal prendre comme mon rang, du moins si c'était bien cela qui la faisait tiquer, à moins que ce soit mon nom? Impossible, seuls les soldats me connaissent et les laborantins, sauf si c'est une déserteuse...

"Que fais-tu ici ? "

Une excellente question à laquelle je n'avais aucune réponse valable. Une odeur chez elle me fit coucher les oreilles en arrière à mon tour, la peur, elle transpirait la peur. Mais je ne m'en préoccupais pas, je savais qu'elle pouvait m'attaquer à tout instant, la raison ne me préoccupait pas, c'était plutot survivre qui m'intéressait.

-Je ne sais pas...

Allez ma grande, ne t'endors pas maintenant même si tu en as cruellement envie! Trouve quelque chose qui l'empêchera de nous tuer. Tu es partie car on voulait te retirer ta liberté, car tu en as assez, parce que tu veux être maitre de ton destin mais que ça ne s'est pas passé comme prévu.

-Me suis enfuie du labo...

Mes pensées devenaient de plus en plus incohérentes et le fait que je sois en mauvaise posture ne m'arrangeait clairement pas. J’espérais au fond de mon être qu'elle penserait rapidement à m'emmener dans un lieu sûr où je pourrais lécher mes plaies et manger un peu, et surtout dormir, surtout ça. J'en avais cruellement besoin.

Il fallait vraiment que j'apprenne à contrôler ma peur, et surtout, arrêter de réagir brusquement toutes les deux minutes.
"Je ne sais pas", me répondit-elle. Puis, après une courte pause: "Me suis enfuie du labo..."
J’eus honte d'avoir réagit comme ça. C'est vrai, quoi, c'était à cause des gens comme moi que les Caméléons vus comme des trouillards.
"Enfuie du labo...?", répétai-je bêtement. Pardonnez-moi d'avoir réagit comme ça. Pensez-vous parvenir à marcher?
J'en doutais, mais sait-on jamais. Si elle était capable de se déplacer, je pensais l'amener auprès des Caméléons. Sinon, et bien... Je ne savais pas du tout ce que j'allais faire. Je pourrais aller chercher de l'aide, mais c'était hors de question de la laisser ici. Le ruisseau n'était pas très dangereux, mais si un chat un peu agressif passait par ici, je ne donnais pas cher de sa peau. Je pourrais attendre qu'elle se repose, ou quelqu'un vienne, aussi... Mouais, bon, j'en savais rien...

"Enfuie du labo...? Pardonnez-moi d'avoir réagit comme ça. Pensez-vous parvenir à marcher?"

Elle semblait connaitre l'endroit, peut-être était elle aussi une fuyarde. Il serait donc logique qu'elle agisse de façon craintive et prudente en ma présence. Qu'avait elle put fuir? Non, ce n'était pas possible, trop... peureuse? Pour tenter un coup pareil. Je regardais mes coussinets terreuses et ensanglantés, marcher dans un tel état? Je n'avais même pas pu me lever sans couiner... Je passais ma langue sur l'un deux légèrement, petits cailloux et peaux arrachées collés entre eux avec le sang et la terre, un vrai bazar, si ça se trouve, ça c'était infecté. L'idée que ce soit grave ne m'effrayait pas tant que ça, j'étais en terrain neutre et en présence d'un chat, certes, peut-être pas le meilleur mais c'était amplement suffisant pour moi qui n'est qu'une inconnue en territoire possiblement hostile. Je lui faisais non de la tête, ramenant ma patte contre mon ventre.

-Désolée...

Et me porter serait impossible, j'étais peut-être légère et petite, ma queue était bien plus lourde que moi et dans mon état, la soulever serait difficile, je la ralentirais. Je regardais la pelote de mousse et ne pus résister à l'envie de la mâchouiller à nouveau, récoltant un liquide au gout légèrement amère, mélange d'eau et de mousse mâchée.

Elle semblait réfléchir. Elle observa ses coussinets, puis secoua négativement la tête. "Désolée..." me dit-elle. Puis elle reprit la boule de mousse pour boire. Je m'y attendais, mais je n'étais pas avancée avec ça. Je n'avais strictement aucune idée de la façon dont j'allais pouvoir la déplacer. Ma foi, puisqu'on ne pourrait pas bouger...
"Je reviens", dis-je. J'ajoutai, pour ne pas l'inquiéter: "Je vais chasser. 'Fin, si je trouve quelque chose."
Je m'éloignai en trottinant, ne voulant pas prendre trop de temps. Je finis par ralentir, aux aguets. Je finis par entendre un très léger craquement de brindille à ma droite. Très doucement, je me dirigeais vers la source du bruit. Entre deux buissons, j'aperçus un petit oiseau. Maigre, mais c'était probablement comestible. N'étant pas du tout une pro' de la chasse, je ne savais pas trop comment m'y prendre pour coincer ce piaf. Mais bon, je n'allais tout de même pas arriver devant Esme les pattes vides, non mais oh! Je le vis commencer à prendre son envol, mais avant même qu'il ait pu décoller, je lui avais déjà sauté dessus, lui donnant je ne sais comment un coup de patte qui le fit retomber. Je lui brisais la nuque avec mes dents, puis, toute fière, me redressai. Plus qu'à retrouver d'où je venais...

"Je reviens. Je vais chasser. 'Fin, si je trouve quelque chose."

Je la regardai partir, mâchouillant lentement ma boule de mousse au point d'avoir le palet pateux. J'avais encore soif à vrai dire. Elle n'allait pas revenir tout de suite, du moins c'est ce que je pensais. Je regardais mes pattes et soupirais, je n'allais tout de même pas l'attendre pour qu'elle me donne à boire, j'étais un chaton? Non! Je me trainai donc jusqu'aux bords de la rive en tachant de ne pas me faire plus mal que nécessaire, laissant un peu de poils dans mon passage. J'étais bien contente que cette chatte, Cyani, n'était pas là, je devais ressembler à une chenille! Une fois arrivée aux bords, je lachai la boule dans l'eau, elle coula un moment avant de disparaitre totalement de mon champs de vision pour réapparaitre bien plus loin. Zut! Je regardais la petite pelote continuer sa route, très déçue de ne plus pouvoir la machouiller, je regardais la surface de l'eau stagnante avec hésitation.

Je finis par me pencher pour laper la surface miroitante, l'eau avait un gout horrible mais vu ma soif, j'étais prête à boire n'importe quoi pour l'étancher!

Tenant l'oiseau dans ma gueule, je faisais demi-tour en trottinant. M'enfin bon, retrouver mon chemin, ça allait être compliqué, puisque j'étais allée un peu dans tous les sens. Je choisissais donc une direction au hasard. Je finis, au bout d'au moins une demi-heure, par apercevoir le ruisseau. Enfin! Je regardais autour de moi: Esme n'était pas dans mon champs de vision. IL allait falloir que je longe le ruisseau... Ce que je fis, après avoir bu un peu. Je finis par la voir, proche de la rive. J’accélérais un peu, puis déposai ma proie en face d'elle.
"Voilà! C'est pour toi!" annonçai-je, toute fière. Puis j'ajoutais, un peu penaude: "Désolée, j'ai été longue, mais je me suis perdue en chemin..."
J'espérais qu'elle ne m'en voulait pas... Il fallait vraiment être bête pour se perdre comme ça, quand même. Je commençais minutieusement à retirer les nombreuses brindilles coincées dans mon pelage, puisque j'étais enfin débarrassée de ce piaf. Je commençai vraiment à avoir faim, mais pour Esme, ça devait être bien pire. Du coup, j'essayais de ne rien laisser paraître. J'espérais qu'elle ne voyait pas à quel point j'étais agitée, et surtout, frustrée de ne servir à rien... Je n'étais même pas capable de trouver une solution pour l'emmener chez les Caméléons! Qu'est-ce-que je pouvais être inutile...

Une fois ma soif étanchée, je regardais les alentours, elle prenait du temps pour chasser mais je préférais ne rien dire. Je n'ai jamais su le faire, et puis en début de Printemps, elle allait avoir du mal à en trouver, surtout dans un endroit pareil. Je regardais l'eau descendre son lit avec intérêt, me prenant au jeu de tenter de choper les feuilles qui étaient entrainées par le courant, plongeant mes pattes dans l'eau quelques secondes à chaque fois. Au moins, ça les nettoyait, je n'allais pas avoir une infection ou quoi que ce soit d'autre, enfin je crois. J'entrepris de faire ma toilette, utilisant plus l'eau pour ça même si je n'aimais pas la sentir s'infiltrer entre mes poils.

Je venais de finir quand je l'entendis approcher, m'ébrouant pour virer l'eau en surplus et sécher mes poils, elle m'avait apporté un oiseau, petit, le moineau, mais ce n'était pas étonnant.

"Voilà! C'est pour toi! Désolée, j'ai été longue, mais je me suis perdue en chemin..."

Je ne lui en voulais pas, au moins j'avais pu me reposer un peu et me désaltérer, je me sentais un peu mieux en tout cas. Je hochais la tête pour la remercier, incapable de parler pour l'instant, et m'entreprit de manger l'oiseau, dévorant en priorité ses tripes, plus nourrissante que la peau et les os. Je n'en laissai que des os, me pourléchant les babines avec délectation, ce qu'elle m'avait offert, c'était un repas de roi comparé à mes précédents encas, enfin si on pouvait les nommer ainsi... Mais ce n'était pas suffisant, il allait faloir qu'elle chasse encore, ou qu'elle m'emmène dans son camps, du moins si elle avait bien un endroit où vivre. Elle avait dit être une Caméléon, je ne sais toujours pas ce que ça veut dire mais ça doit être le nom d'un groupe de chats errants sur ces terres. L'idée me déplaisait en repensant à sa réaction quand j'ai dit que j'étais une soldate, peut-être que les autres seront plus hostiles à mon égard, et j'étais incapable de me défendre pour le moment...

Mais ce n'était pas en restant ici que la situation s'améliorerait! Alors, chats en colère ou Nature implacable? ... Autant dire que je n'avais pas le choix... Je soupirai en me levant, enfin en essayant.

-Excuse moi mais penses tu pouvoir me porter? Je suis plutot légère, je n'aurais qu'à éviter de trainer ma queue dans la poussière. Je préfère encore être en sureté qu'ici...

Lorsqu' Esme eut fini de manger, elle se leva avec difficulté, et me demanda:

"Excuses-moi mais penses-tu pouvoir me porter? Je suis plutôt légère, je n'aurais qu'à éviter de traîner ma queue dans la poussière. Je préfère encore être en sûreté qu'ici..."
La porter? J'avais l'air d'un tas de muscles mouvant, peut-être? Bon, d'accord, elle n'avait que la peau sur les os, mais j'étais pas très forte, moi. M'enfin, hors de question de refuser de rendre service! Non mais oh, ça allait pas le faire si je me mettais à faire ma feignasse...

"Moui, ça devrait être faisable",

répondis-je. J'espérais juste ne pas me paumer en route... Mais la sylve était quand même assez loin du ruisseau, il me semble. De plus, il allait falloir faire un beau détour pour éviter la ville... Déjà que j'étais pas capable de me battre en temps normal, alors en protégeant quelqu'un en même temps? C'est bien beau de rêver... Je m'approchais d'Esme, et m'écrasai par terre pour qu'elle puisse se hisser sur mon dos.

Je la regardais réfléchir à ma proposition avec patience. Je pouvais comprendre qu'elle refuse, elle aussi était plutot menue et elle n'avait pas une queue touffue chargée de poussières et autres saletés en contre poids, d'ailleurs, ce serait sans doute le plus gros problème pendant la marche, la maintenir en l'air pendant je ne sais combien de temps sera difficile voir impossible dans mon état actuel. Je regardais cette dernière en passant ma patte un peu partout pour retirer les poils perdus emmêlés et la crasse, hors de question de la tremper dans l'eau même si cela aurait été plus efficace comme nettoyage. Je n'avais pas le choix, j'allais devoir la garder contre moi pendant le trajet.

"Moui, ça devrait être faisable"

Je tournais la tête vers elle tandis qu'elle se couchait à quelques centimètres de moi, me facilitant la tâche pour grimper sur son dos. Ne voulant pas la blesser, je me couchais plusieurs fois sur elle, cherchant la meilleure position pour ne pas lui rentrer mes coudes dans les cotes ou ne pas lui briser les reins à force de me porter. Au bout de plusieurs minutes à chercher, je finis par m'allonger de tout mon long, plus petite qu'elle, mes pattes arrières ne risquaient pas de percuter les siennes et mes pattes avants étaient superposées aux autres, il allait juste falloir que je fasse attention à ne pas me prendre un coup de tête... Le problème de la queue fut par contre facile à gérer du coup! Puisant dans le peu de forces que j'avais pu restaurer en buvant et mangeant, je levai ma queue et la laissai retomber sur ma tête, c'était mieux que sur le coté et c'était moi qui la soulevait, cela n'allait donc pas la gêner, du moins, je l'espérais.

-Je crois que c'est bon!

Elle se releva en vérifiant si tout allait bien et si je ne la gênais pas, je sentais ses muscles rouler sous sa peau et les os se mouvoir, son coeur battait au même rythme que le mien. Cela était apaisant, je posais ma tête sur la sienne en ronronnant.

« Et c'est parti ! »

Elle semblait contente de partir, ou alors était ce parce qu'elle faisait quelque chose d'utile pour mon sauvetage. Depuis le début, je l'avais senti comme déçue d'elle-même de ne pas avoir pu faire grand chose, comme l'oiseau qui était assez petit, mais je ne lui en voulais pas. Ce qu'elle avait fait était immense et peu de chats l'auraient fait en sachant que j 'étais une soldate... Etais... Ou suis encore? Je ne savais même pas ce que j'étais. En tout cas, si je ne l'avais pas croisé, je serais morte depuis peu! Je ronronnais de plus en plus au point de pouvoir être entendue dans un cercle de deux mètres environ, ma queue rebondissait sur ma tête et le vent sur mon museau me faisait un bien fou. La torpeur finit par me gagner, me faisant somnoler. Je rouvris les yeux en pensant qu'elle n'avait pas répondu à une de mes questions.

-Qu'est ce qu'un Caméléon?

Je recommençais à somnoler, la fatigue devenant plus pesante et imposante dans mon esprit encore cotonneux par la soif et la faim. Je redressai la tête aussitot en entendant sa voix sous mon menton.

« Hum… Pour faire court, les Caméléons sont un groupe de chats pacifiques, qui fuient les humains et les Soldats. Le nom « Caméléons » vient du fait que notre meneuse nous protège avec ses illusions. »

Je restais silencieuse, essayant de bien comprendre ce qu'elle me disait. C'était des donc chats ayant quitté les soldats et les humains afin de ne plus vivre dans les conflits et l'injustice? D'un coté cela me rassurait, ils n'étaient pas agressifs, mais d'un autre coté, ils ne devaient pas apprécier les soldats non plus, je devais me faire discrète et garder mon passé pour moi. Ils portaient bien leurs noms néanmoins vu que leur meneuse les cachait, tels les petits lézards que l'on pouvait voir quelques fois ci et là, derniers rescapés de la guerre des Hommes. Mais quelque chose m'intriguait dans ce qu'elle avait dit, je fermai les yeux un moment -quelques minutes? Une demie-heure? Me suis je endormie...?- avant de me redresser à nouveau, éternuant à cause de quelques poils de ma queue qui chatouillaient mon museau.

-Si vous évitez les Soldats et les humains, pourquoi ne m'as tu pas laissé tomber à coté du ruisseau?

En levant les yeux sur ce qui nous entourait, je vis que le soleil avait bien entamé sa descente et les étoiles scintillaient timidement dans le ciel assombris aux teintes allant du violet au orange.

Le silence régnait aux alentours, perturbé uniquement par le gazouillement des oiseaux et les couinements de souris paniquées par notre présence, je regardais le ciel qui continuait de s'assombrir graduellement, soufflant su les poils de ma queue qui me chatouillaient les narines, quand elle finit par me répondre.

« Je ne pouvais pas laisser un chat crever comme ça, Soldat ou non. Et puis, la moitié d'entre nous sont des chats enfuis de la ville, donc bon... »

Je haussais un sourcil. Les Caméléons étaient donc un refuge pour chats errants et anciens soldats ne voulant plus tuer leurs congénères? Cela me rassurait intérieurement, je serais en sécurité parmi eux au moins, je ne risquais pas d'être mal vue et je pourrais enfin me reposer, et réfléchir posément à ma situation et sur ce que je devais faire à présent. Peut-être que je pourrais vivre parmi eux pendant un temps, errer dans cette contrée sauvage n'est pas envisageable pour l'instant. Je continuais à penser à mon futur proche quand mes paupières se fermèrent toutes seules et que mon menton se posa sur sa tête, accueillant à pattes ouvertes ce repos bien mérité , pour une fois sans songes désagréables composés d'aiguilles, de voix froides, de regards mauvais et d'autres suppliants d'être épargnés.

-Merci...

Up ?