Le ruisseau était un endroit plutôt charmant, je devais bien l'avouer. On pouvait s'y promener tranquillement, surtout la nuit. C'était très joli. Je marchais tranquillement, foulant avec grâce le sol parsemé d'herbe tendre. Le ruisseau coulait en faisant un bruit berçant. Je m'arrêtais, m'assis et fixais le ciel étoilé parfaitement dégagé.

Puis, me lassant de rester immobile comme ça, je fendais quelques fourrés en travers de mon chemin. Quand mon avant-corps ressortit de l'autre côté, je fus surprise de constater qu'il y avait déjà quelqu'un à cette heure-là. Et quand je sortais complètement des buissons et m'ébrouais rapidement, c'était encore plus étonnant de voir que c'était un Soldat. Avec un drôle de casque sur la tête. Un casque qui ressemblait à un scaphandre. C'était marrant de voir quelqu'un porter ça. Moi, je détestais me sentir enfermée; de plus, ne pas pouvoir respirer librement comme je le faisais en ce moment même m'insupportait. Peut-être qu'il portait ça parce qu'il voulait cacher quelque chose? Des blessures, peut-être?...
Il était gris, et avait des petites nageoires sur les pattes. Il portait aussi une drôle de ceinture qui ressemblait à une sacoche. Il m'intéressait, ce Soldat. Quel était son pouvoir, s'il en possédait un? Comment s'appelait-il? Shrader. Mince... A cause de ma curiosité; j'ai déclenché mon pouvoir toute seule!! Quelle imbécile je suis!...

"-Bonsoir!" Miaulais-je gentiment de ma voix douce.

Il avait une patte mouillée, comme s'il l'avait trempée dans le ruisseau. Pour se la nettoyer, sans doute? Shrader, quel drôle de nom. Je trouvais que ça ressemblait un tout petit peu à Sherkan. Pas tellement, du moins. J'attendis alors sa réponse, scrutant avec curiosité le hublot de son scaphandre.

Il n'a pas été surpris de me voir surgir comme cela des fourrés. Son apparence était sympathique et il m'attirait beaucoup. Il me salua élégamment sans rien dire. Puis, il me fixa toujours sans un murmure et fouilla dans son petit sac étrange. Il semblait chercher quelque chose, un objet en particulier?
Lorsque sa voix retentit dans ma tête: "Bonsoir quand même..."
Tiens? Pourquoi ne m'avait-il pas parlé, s'il me saluait intérieurement? Peut-être qu'il avait mal à la gorge, ou qu'il était muet...
Ne pas pouvoir s'exprimer avec autant de facilité qu'on le fait lorsque l'on a de la voix. Si par malheur je devenais muette, je crois que je n'hésiterai pas à me donner la mort. Sans pouvoir dire ce que l'on a sur le cœur, on se détruit, étouffé par nos sentiments.
C'était le cas en ce moment, mais je refusais de l'admettre. Je suis une imbécile, c'est tout.

Je secouais doucement ma tête ornée de ma précieuse plume, et me décidai à lui dire autre chose pour ne pas poireauter en attendant une quelconque réaction de sa part. "Avancer la conversation", voilà à quoi je pensais. Mais je ne savais pas quoi lui miauler. Je ne pouvais quand même pas lui demander s'il était muet, ce serait impoli et beaucoup trop direct. Donc, je décidais de dire:

"-Comment t'appelles-tu? Si tu m'autorises à te tutoyer, surtout."

Ben, oui. Certains félins détestaient qu'on les tutoient, apparemment pour eux ça faisait "copains". Idiot, illogique, bizarre. C'était comme ça que je trouvais leur manière de faire. Franchement, je ne serais jamais comme eux, et, bien que je n'approuve pas leur caractère, je les respecte. Car moi, je n'aime pas qu'on me pose trois cent mille questions à la fois, c'est indiscret et énervant. Alors je ne le fais pas, tout simplement. Il ne faut pas faire aux autres ce que l'on n'a pas envie qu'on nous fasse. C'est tout.

Il mit la patte sur son scaphandre, là où devrait normalement se trouver sa gueule, puis la mis vers sa gorge, et fit semblant de se l'être coupée. Je compris. De tout façon, j'avais déjà pris connaissance de son nom; Shrader. Je trouvais que ça sonnait bien. Et j'en déduisis qu'il était bien muet. Les oreilles dressées, je m'appliquais sur ses faits et gestes, prête à essayer de comprendre leurs sens.
Puis, il fouilla une nouvelle fois dans sa sacoche, et en sortit une plume, qui ressemblait un peu à celle que je portais. Je sentis que ses intentions étaient vraiment de m'offrir quelque chose, que c'était sincère, et qu'il ne s'en débarrassait pas juste comme ça. Quand il me la tendit, je me rapprochais de lui et la prenais entre mes pattes, occupée à la regarder. Je mis quelques instants avant de lui répondre doucement:

"-Merci... Shrader... C'est vraiment très gentil..."

J'étais émue. Je souriais avec sincérité, avec toute la douceur qui me caractérisait. J'avais même presque les larmes aux yeux. Je ne savais pas pourquoi, mais ça me faisait vraiment bizarre d'être avec Shrader. J'avais envie de le connaître, de tout faire pour qu'il me fasse confiance, et que je lui fasse confiance aussi, sans craindre d'être trompée ou trahie. Enfin, trahir les secrets de quelqu'un en étant muet, je pense que c'est difficile. A moins qu'il ne soit télépathe? J'étais curieuse à l'idée de ce qui pouvait se cacher sous son scaphandre. Normalement, il devait avoir un pouvoir, puisqu'il avait des sortes de petites palmes sur les pattes. Je trouvais ça mignon. Plus original que des ailes, mes ailes, si banales. D'autres avaient des ailes, mais c'était des ailes de démon; ou de dragon. Ou encore, j'imaginais des ailes métalliques, ou encore pleines de poils!... Enfin, je m'égarais. Je redressais ma tête et souriais encore une fois au mâle gris. J'avais envie de lui offrir quelque chose aussi, et tournais la tête de tous les côtés. Comme je ne trouvais rien dans mon champ de vue et que je tenais à lui donner quelque chose, je me levais, tenant la plume, et lui miaulais:

"-Je reviens!"

Et je courus dans les végétaux brûlés, fouillant partout, autant avec mes pattes qu'avec mes yeux émeraudes. J'allais abandonner, mais entrevit une pousse, dotée d'une minuscule fleur blanche, ressemblant à celles des cerisiers. Ou d'amandiers. En tout cas, je me demandais pas quel miracle ces pousses avaient réussi à lutter contre la mort avec autant de succès. Je sortis une griffe et, très délicatement, coupait la tige à mi-hauteur. Je la pris entre mes crocs avec douceur et revint vers Shrader. Je le vis, presqu'au même endroit que tout à l'heure, m'approcha de lui et déposa à ses pattes de devant la fleur.
En fait, je me rendis compte de quelque chose. Les mâles n'étaient pas censés aimer les fleurs, non? Ils trouvaient cela trop féminin, trop mièvre? Je relevais les yeux vers le scaphandre et cherchait son regard, essayant d'y trouver une émotion, mais impossible de discerner quelque chose sous le verre opaque. Je le regardais, un sourire en coin, sans dévoiler mes crocs, attendant sa réaction. J'avais peur qu'elle soit négative. Je serrais un peu plus le cadeau de Shrader contre moi.

Il sortit une genre de colle et un petit livret de son sac, et je sentis une douce fragrance d'herbes et de fleurs séchés me chatouiller la truffe. Il ouvrit une page de son herbier, fit un rond de colle avec sa patte grise, puis répéta le même mouvement sur mon cadeau. Puis, à ma grande surprise, referma son livre avec force. Il avait effectué cela avec un air décidé, donc je ne m'inquiétais pas trop. Je ne savais pas exactement comment fonctionnait un herbier, mais je savais qu'on pouvait mettre des fleurs et des herbes dedans... Mais je m'étais toujours demandé comment faisait-on tenir cette végétation dans des livres... Quand Shrader rouvrit son livret, la fleur était bien positionnée au centre de la page, et j'eus la réponse à cette question sans que je lui demande quoi que ce soit. Le Soldat se leva et s'inclina devant moi. Quelques instants après, une voix résonnait dans ma tête.
"Merci beaucoup Mademoiselle pour votre cadeau... Mh. Alors comme ça, vous savez lire dans les pensées? Impressionnant."
Cela me faisait bizarre d'entendre pour la première fois sa voix, ou du moins sa voix intérieure. Je me sentais heureuse pour lui: nous pourrions communiquer tous les deux sans que personne ne surprenne nos conversations. C'était génial. Il devait être content lui aussi, de pouvoir "parler" à quelqu'un alors qu'il est muet.
"Je sais que vous savez déjà mon nom, mais faisons tout de même connaissance: Je me nomme Shrader, je suis soldat. Ah, et je ne vous veux aucun mal, alors s'il vous plait ne vous braquez pas sur moi comme d'autres félins pourraient le faire."

Je réfléchis à la manière dont j'allais lui répondre. Par la voix ou la pensée? Hum, la pensée serait mieux. Et puis, je n'avais pas spécialement envie d'utiliser ma langue. Ou ma gueule. Oui, j'allais lui envoyer mes mots par la pensée. je n'avais appris à faire cela que très récemment et je ne maîtrisais pas encore cette capacité très longtemps, mais je l'utilisais quand même. Espérons qu'il ne se passerait rien de grave ou de gênant. Car, si j'utilisais cette "technique", j'aurais accès à toute sa tête. Enfin, s'il se mettait à revivre ou penser à un souvenir, il me le fera donc partager. Mais je n'osais pas le lui dire, de peur de le vexer ou de le froisser.
"Je savais déjà que vous étiez un Soldat, je n'ai pas de scaphandre, moi, Dit-elle gentiment en regardant le-dit scaphandre du mâle. Et je ne fais pas attention aux Guildes des gens que je rencontre. Ce qui compte, c'est le caractère de la personne et son comportement vis-à-vis de toi, pas de ses origines. Ah, au fait, tu peux me tutoyer."

J'attendis sa réponse, essayant de déceler distraitement les traits de son visage, sous son scaphandre. Puis mon regard se reporta à son étrange petit sac fourre-tout. Je me demandais ce qu'il y avait d'autre à l'intérieur.

Mh je n'aime pas trop tutoyer, comme une sorte de réflexe. Par contre, ne vous gênez pas pour moi, j'ai l'habitude qu'on me tutoie. Ah bon. Bien. Très bien. Je n'allais pas l'obliger à me tutoyer. Mais employer le pronom personnel "vous" pour me parler me plongeait dans le plus grand désarroi et la plus grande gêne. Je n'étais qu'une chatte insignifiante, alors pourquoi me miauler que j'étais une personne de haute importance? Quoique, je n'avais vouvoyé Dariel. Quand aux autres chefs... Je crois bien que je ne leur ai jamais parlé directement. J'avais été attentive à l'annonce d'Elli, mais n'avait rien dit. Tout était arrivé très vite. Je n'avais rien compris pourquoi ils créaient une nouvelle Guilde étrange et mystérieuse, parce que ça m'avait semblé idiot. Enfin, tant que les Ombres n'embêtaient personne, ça ne me dérangeait pas. Pas trop. Justement, le fait de ne presque rien savoir sur eux m'inquiétait légèrement. J'espère qu'ils ne sont pas en train de comploter quelque chose.
Il me faisait penser à un chat bleu aux drôles de lunettes, qui parlait tout le temps. Peut-être que Shrader l'avait rencontré, lui aussi. Car, chaque fois qu'Isaac passait par un endroit, ça se sentait tout de suite.
"Comme tu veux. Mais dis-moi, tu ne connaitrais pas Isaac, par hasard?"

Le Soldat laissait derrière lui une drôle d'impression. C'était étrange, mais ça m'amusait.

"Comme tu veux. Mais dis-moi, tu ne connaîtrais pas Isaac, par hasard?"

Isaac?
Evidemment que tu le connaissais. Depuis ta naissance même; il parlait toujours autant, et aidait les autres à te comprendre un minimum, même s'il déviait toujours le sujet de conversation. Il est vraiment très gentil au fond. Quoiqu'un peu trop étrange. Et envahissant. Et... On va s'arrêter là.

Oh que oui! C'est un ami d'enfance. Je connais sa mère. Mais comment se fait-il que vous le connaissiez?

Ils se sont déjà vu? Oh. En même temps, il se balade beaucoup à la recherche de... ce qu'il voit dans ses rêve hélas. Mais il prend généralement ses rêves pour des oracles venus des cieux.La dernière fois, il pensait qu'il devait chercher un caillou d'une forme si parfaite qu'il le reconnaîtrait de suite. Pauvre de lui. Enfin, il vit heureux, alors tout va pour le mieux.

C'est quand même drôle de pouvoir s'exprimer hein? Ne t'en fais pas, tu vas vite y perdre goût. Rien de plus ennuyant. Tu n'as tellement pas l'habitude de parler que c'en est presque la même chose, mais en plus embarrassant pour ton interlocuteur!

Dead, donc j'archive :'c