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Voilà plusieurs jours qu'Alec n'avait pas quitté sa tanière. La chaleur était insupportable au fur et à mesure que la canicule s'installait. La sécheresse était présente et le Royaume avait dû creuser dans leurs champignons pour trouver de l'eau. Heureusement que ces champignons existaient, et leurs secrets étaient bien gardés. Personne n'avait connaissance de ces informations en dehors des Capraes, et personne ne s'aventurerait à le raconter, ce n'est pas vraiment quelque chose d'intéressant ou de contraignant. Alec appréciait ce repère. La lumière des champignons éclairait faiblement le Royaume lorsque le soleil déclinait pour se coucher. C'était agréable de traîner dehors la nuit, en se sentant protéger et chez soi.

Ce matin-là, Alec s'était mit en tête de partir patrouiller, seul. Il quitta donc sa tanière tôt dans la matinée, le soleil se levait à peine pour dire. Il avait pris un rapide repas et s'était empressé de quitter le camp pour ne pas avoir à dialoguer avec ses camarades. Il était leur Roi, mais qu'est-ce qu'il n'aimait pas les interactions sociales. Il craignait de ne pouvoir tenir une conversation, il avait peur de devenir « awkward » et de ne savoir comment réagir. Il ne comprenait seulement pas les signaux corporelles que ses camarades lui adressaient. Déjà lors de son rapport.. chaud avec Maïa, il n'avait pas bien compris ses désirs, mais au moins il lui avait fait vraiment plaisir. C'était dur pour lui, mais il faisait son maximum.

Alors, lorsque les premiers rayons du soleil caressait sa fourrure brune, il prit la route. Ses pattes le dirigeaient vers la Prairie Carnivore, en passant par l'Étang et sûrement l'arbre creux. Cela lui prendrait sûrement plusieurs jours, la distance étant approximativement de 25 kilomètres, plus ou moins. Il devrait mettre plus ou moins Cinq heures pour parcourir cette distance, avec une bonne allure et des poses courtes. Il marcherait, ne voulant s'épuiser sous cette chaleur étouffante. Une fois que son plan était préparé, et que sa destination était en ligne de mire, il se mit en route, lentement et calmement, ses sabots claquant entre les petits rochers qui parsemaient le sol. L'herbe était jaunâtre, brûlée et assoiffée. Elle craquait sous les pattes d'Alec, se pliant sous les sabots rougeâtres du Roi à chaque pas. Ces bruits étaient reposants, mais pinçait le coeur quand on imaginait que cette nature souffrait tellement plus que nous. Elle portait ses enfants comme un fardeau, ces derniers la maltraitant avec rage. Nous disions du mal des félins, mais que les Hommes sont pires.

Après plusieurs heures de marche à observer la nature se réveiller et vivre, Alec se stoppa à l'Étang pour assouvir sa soif, et se délecta lentement de l'eau encore potable mais visuellement putride de ce grand bassin. Sentir le liquide frais glisser dans sa propre trachée alors que notre gorge criait sous l'assèchement, c'était un sentiment si délicieux. Le Roi se posa pendant un petit moment sur la berge de l'étendue d'eau, reprenant son souffle et calmant son coeur malade. Son arythmie se calmait lentement mais elle était toujours présente, et un effort un peu trop violent poussait le Roi à reprendre son souffle rapidement. Sa respiration était sifflante et grasse, comme si sa propre gorge soupirait à chaque bouffée d'air. C'était affolant pour certains, mais le mâle avait l'habitude. Il entendait sa propre respiration, et ça le rassurait de savoir qu'il vivait encore.

Voilà un bon moment qu'il s'était allongé dans cette herbe calcinée, il devait se pousser à reprendre route. Il avait observé les alentours, silencieusement, aux aguets. Il était attentif à chaque bruit, chaque odeur et chaque mouvement. Si un animal ou un intrus se tenait en ces lieux, il l'aurait remarqué. Seulement, il n'y avait personne ici. L'Étang semblerait pourtant être une zone prise de foule vu la chaleur, mais visiblement, personne. Pas un chat ne traînait dehors, quelle ironie. Après plusieurs minutes, il se redressa, s'étirant lentement, faisant claquer ses sabots lorsqu'il étirait l'une de ses pattes après l'autre. Il ouvrit grand la bouche, baillant à s'en décrocher la mâchoire. Après ces rapides exercices de gym pour faire craquer son squelette vieillit par les années, il reprit la route d'une démarche lente et fatiguée.

Après une heure ou deux, Alec arriva à l'Arbre Creux, cet arbre était immense, c'était sûrement un chêne modifié par les attaques chimiques, qui doit dater de plusieurs millénaires. Il était tellement grand qu'il pouvait accueillir plus d'une centaine de chats dans le passé, lorsque les Caméléons étaient encore sous les ordres d'Elli, avant qu'ils deviennent ces tapettes d'Ophéis manipulés par une féline frêle et fragile. Cet arbre éternel protégeait maintenant la demeure d'un félin en particulier, une rumeur traîne sur ce félidé particulier qui se nomme .. Le Flotteur ..? Non.. La Poste ? Non plus.. Le Passeur. C'était ça. Ce félidé proposait ses services en échange d'objets ou d'autres services. C'était une sorte d'échangeur d'actions. Le Roi ira sûrement lui rendre visite un jour. On raconte qu'il possède tout ce que cette Terre peut créer. Alec pourrait peut-être faire une pause et s'aventurer dans cet arbre, à la recherche de cette légende vivante ? Non. Il était venu pour patrouiller, et non pour partir dans une chasse à l'homme. Le Roi s'était déjà aventuré bien plus loin que son territoire. La sylve était à lui, pas besoin de partir jusqu'à la Prairie Carnivore. Mais il en avait besoin, il devait bouger et s'aérer l'esprit. Il sentait que quelque chose n'allait pas, et que l'avenir allait devenir sombre et difficile. Il devait se détendre maintenant s'il ne voulait pas être prit de court. Sa queue le démangeait, et souvent, c'était mauvais signe. Ce petit détail était une sorte de superstition, qui depuis l'incendie se révélait souvent vraie.

Face au chêne, Alec fit le tour, pendant plus d'une demi-heure, voire même une heure entière. Cet arbre était tellement imposant et grand.. C'était un véritable territoire laissé à l'abandon, ou du moins à ce personnage dont Alec ne portait aucune croyance. Il doutait de son existence. Il devait le voir de ses propres yeux pour y croire. Mais ce n'était pas le temps pour le doute, il devait avancer et rapidement, sinon il ne serait pas de retour au Royaume avant le lendemain soir. Il reprit donc sa route, marchant d'une foulée plus rapide.

Lorsque le soleil avait disparu pour laisser place à un ciel rosâtre et à une lune parsemée de blessures, Alec atteignit la Prairie Carnivore. La nuit, ces plantes monstrueuses se refermaient pour dormir jusqu'au lever du jour suivant. Il était donc très peu dangereux de se déplacer dans cette zone après le coucher du soleil. Il s'aventura dans ce cimetière de plantes endormies. Un seul faux pas, et il se retrouverait enseveli sous ces monstres végétaux, alors il devait faire attention à l'endroit où ses sabots et ses griffes d'aciers se posaient. Il devait aussi faire attention à ses cornes, il ne fallait pas tenter le diable en caressant le dessous de menton d'un de ces monstres par inadvertance.

Après plusieurs mètres dans ce jardin des monstruosités, Alec senti une odeur caressée sa truffe. Cette odeur était âcre et très distincte. Il la reconnaîtrait parmi des milliers d'autres. C'était l'odeur si particulière des laboratoires, des Hommes et donc, plus particulièrement, d'un Soldat de l'Armée. Le Roi suivi cette odeur, et rapidement, aperçut la source putride de cette dernière. C'était un félin à la peau nue, son corps semblait fragile mais élancé, et sa peau semblait teinte de couleurs plus foncée sur son visage et ses pattes avant. Il semblait y avoir des pointes de bleus aussi, sur son torse. D'une distance pareille, Alec ne pouvait vraiment discerner les parties de son corps et les quelconques endroits colorés. Il ressemblait à une grosse tache décolorée et beige. Il se rapprochait lentement, le poitrail frôlant le sol. Malheureusement, il était presque impossible de camoufler un félidé si grand dans des herbes mortes, et ses cornes ainsi que son arrière-train rouge ne rendaient pas la tâche plus facile.

Et par un hasard sadique, le vent tourna. Il était tellement rare d'avoir un courant d'air frais en journée, mais la nuit le vent soufflait faiblement dans les endroits nus, comme actuellement dans la Prairie Carnivore. Et donc, comme le hasard fait bien les choses, le vent porta l'effluve du Roi jusqu'aux narines du soldat. Le sphinx se retourna d'un bond, regardant maintenant en direction d'Alec, cherchant à son tour la provenance de son odeur. En quelques secondes, c'était fait, et le Soldat plongea son regard dans celui du Roi. Le félin nu, après avoir poussé un feulement, s'élança sur le matou brun. Alec se préparait, une bonne distance de plusieurs mètres les séparaient, et d'un bond rapide, il s'élança à son tour en direction du « suppo » des Hommes. Alec avalait la distance en plusieurs longues foulées, grâce à ses immenses échasses lui servant de pattes. Son postérieur de bouc lui offrait de même une grande puissance pour se propulser à chaque foulée. Contrairement au mâle imposant, le félidé frêle faisait de petites foulées, cela n'empêchant pas la vitesse de ce dernier. Les opposants se rapprochaient dangereusement, et lors de l'impact, Alec plongea toutes griffes dehors, faiblement décalé sur le côté gauche de son voisin. Par ce fait, il esquiva la morsure que le soldat tentait de porter à sa gorge. Le Roi plongea quant à lui les griffes de son gant dans l'épaule du félidé nu, laissant le sang giclé. Le Caprae prenait appuie sur cette patte, forçant celle-ci à découper la chair du jeune félin vers le bas, entaillant l'épaule de ce dernier. L'attaque d'Alec ne consistait pas à tuer son adversaire, mais à le forcer à abandonner le combat qu'il venait tout juste de débuter, lui faisant comprendre que son opposant était plus puissant et qu'il n'avait aucune chance. Le soldat s'extirpa de cette emprise, reculant rapidement, déchirant les griffes de métal de sa propre chair en poussant un miaulement de douleur. Le Roi recula lui aussi, fixant son camarade en se dressant fièrement, forçant la soumission du soldat. Ce dernier était essoufflé, par cette course et par cette attaque. Pourtant, le sphinx siffla, et d'une action rapide, se jeta de nouveau à la gorge du Roi. L'adulte ne pu esquiver cette attaque, et fit un pas en arrière quand cette vermine s'accrocha à lui. La pression qu'exerçait le sphinx sur la gorge du Caprae lui tira quelques grondements. Alec secoua son cou, tentant de faire lâcher prise à cette sangsue horripilante. Il leva sa patte avant gauche, portant un coup violent au flanc de son voisin, et un gros crachat de sang quitta le couvert de sa chair pour s'éclater au sol en de grandes gorgées. Alec racla sa gorge, il pouvait sentir un liquide visqueux se coller à la base de ses poils, c'était chaud, et il savait donc qu'il était blessé, superficiellement. Cette petite morsure n'était rien face à la plaie dont le sang dégoulinait de son voisin. Alec s'élança sur le félin, rapidement, s'apprêtant finalement à lui mettre le coup de grâce. Lorsqu'il plongea sur lui, toutes griffes dehors, il se prit un projectile, de plein fouet, sur son flanc droit. Le Roi roula dans l'herbe, sur plusieurs mètres, avant de pouvoir s'arrêter et se redresser avec difficulté. Il secoua sa tête, pour reprendre ses esprits et visualiser l'obstacle qui l'avait dévier de sa proie. Face à lui se dressait un énorme monstre au poil grisâtre, de la bave s'écoulait de sa mâchoire et ses yeux semblaient recouverts d'un voile opaque. L'animal semblait hors de contrôle, et animé d'un instinct primaire puissant et dangereux.Cette bestiole se retourna, fixant le soldat fortement blessé de ses yeux vides. Des grognements s'élevaient de ce tas de muscle. C'était l'une de ces expériences ratées qui résultaient des tests des Hommes. Ce monstre avait été un chat, d'antan. Maintenant, il faisait le triple de la taille d'un félidé commun. L'animal s'élança sur le chat blessé et inapte à se battre ni même fuir. Alec se redressa d'un bond et poursuivit cette expérience désastreuse. En quelques mètres, il le rattrapa, et bondit sur le dos de cette dernière, qui prit plusieurs longues secondes à stopper sa course pour se débattre de ce voyageur non-désiré. Alec s'agrippa à la nuque de l'animal, fouillant dans sa fourrure avec ses crocs pour s'accrocher à sa peau. Il planta de même les griffes de sa patte et de son gant dans la chair du monstre. Ses sabots ne pouvaient prendre une bonne accroche, mais il tentait tout de même de se maintenir debout sur la croupe de son ennemi. Le Soldat était plaqué au sol, sûrement effrayé. Il venait de voir sa vie défilée deux fois de suite, et continuait de se vider de son sang sur le sol. Il était sûrement trop jeune pour mourir ce soir.Alec lacérait les poils et la peau de l'expérience ratée, celle-ci se débattant en poussant des cris de fureur. Il ne pouvait pas lâcher, pas maintenant. Il devait abattre ce monstre s'il voulait sauver ce jeunot ennemi, ou l'achever lui-même. Ou simplement pour sauver sa propre peau. L'expérience ratée était plus grande qu'Alec, mais ce dernier faisait sûrement « un chat » de moins qu'elle. De par sa taille presque similaire, Alec réussissait à faire face aux mouvements puissants de la bête qui tentait de l'éjecter de son échine. Et à force d'essayer, Alec se fit décrocher, en plus de plusieurs touffes de poils, de la nuque de l'animal. Le Roi fut projeté au sol aux côtés du soldat, il roula sur quelques mètres et s'arrêta à quelques mètres du Soldat, entre ce dernier et l'expérience ratée. Il se redressa rapidement, et se mit en position de protection, la queue ondulant au sol, l'avant du corps penché et les babines retroussées. Il poussa un feulement envers l'ennemi commun, utilisant son pouvoir pour forcer celle-ci à craindre qu'importe ce qu'elle verrait à la place du Roi. L'expérience prit ses pattes à son cou, et pris la fuite en direction de la Forêt Empoisonnée.

C'était bizarre. Une Expérience ratée avait tentée de s'en prendre à l'un de ses alliés, un soldat de l'Armée. Ce n'était pas normal, que l'emprise protégeant les chats soldats des monstres attardés soit brisée. Cette bestiole devait sûrement avoir réussi à fuir de la ville, pour retourner à un état sauvage. C'était particulier, pas très commun, mais toujours possible. En parlant des soldats, est-ce que cet ennemi était toujours en vie ? Alec tourna sa tête, après s'être redressé et calmer. Il regarda par-dessus son épaule et vit le jeunot, tremblant de choc. C'était traumatisant, et il prendra sûrement plusieurs jours à recouvrir ses esprits. Au moins, il était en vie.

Le Roi lui porta un regard dur, alors que le soldat fixait le vide, la mâchoire tombante de choc et le sang coulant encore de son flanc. Alec se retourna lentement pour lui donner un coup de patte au visage, puissant, mais ne visant pas à le blesser. Cette « baffe » tira le sphinx de ses pensées, et en voyant son adversaire se dresser droit au-dessus de lui, il recula de quelques centimètres en crachant de surprise et de peur. Alec le regarda en silence, ne bougeant d'un pouce. Le Roi souffla bruyamment, et se retourna pour reprendre la route vers la Sylve. Il s'en foutait pas mal, du sort de ce soldat blessé. Si ce dernier pouvait traîner son corps jusqu'à son camp et y arriver en vie, tant mieux pour lui.

Sur son retour, le Roi croisa le chemin d'une petite plante particulière. C'était une sorte de trèfle, une dizaine de pétale formait une couronne, et au centre, se dessinait une sorte de visage en colère. Il était mignon, et ses feuilles ressemblaient à des mains. Alec se pencha pour le ramasser, cette petite pousse pourrait faire plaisir à Ahmès, et il serait drôle de le voir jouer avec.

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