En un sens c'était drôle. Ça la faisait presque rire au fond. Enfin presque. Elle, la conseillère, celle qui aurait dû rester à l'oasis pour aider à la gestion de la guilde, se retrouvait à devoir chasser pour sa guilde. Mais les chasseurs étaient presque tous morts ou partis, et chacun devait s'atteler à la tâche. Sinon ce serait la véritable fin de la guilde. Les derniers survivants finiraient par mourir ou partir, et elle même elle se retrouverait devant le choix impossible entre devenir soldate ou felinae.
Nuazù faisait donc parti de ces irréductibles qui pensaient encore que dans un effort collectif, les Caméléons réussiraient à survivre. Néanmoins, pour celà, il faudrait déjà qu'ils retrouvent un chef à leur tête, ce qui prévoyait de ne pas être si simple. Elle n'osait pas se présenter elle-même, pas qu'elle ne pensait pas en avoir les capacités, mais bien parce que choisir un nouveau chef signifiait tirer un trait sur ce que la guilde avait été jusqu'ici et que cela ne risquait pas de plaire à tout le monde.
Elle en avait longuement parlé avec Pan, avec qui elle s'entendait étonnamment bien. Toutes deux étaient du même avis, et Nuazù se prenait parfois à rêver comment la guilde fonctionnerait sous ses ordres. Une guilde forte. Une guilde capable de vaincre et de survivre à la guerre. Une guilde capable de battre n'importe qui. Elle avait donc quitté son oasis chérie, ne sachant pas trop où elle devait se diriger. Chasser ? Mais où ? Elle se souvenait à peine de son entraînement chez les Felinae, et même si elle avait une idée de comment faire en ayant plus d'une fois vu d'autres félins à l'oeuvre, elle ignorait où trouver des proies. Le froid étendait ses longs bras maigres autour de la ville, commençant à faire sentir son emprise sur la vie. Elle avait peur. Très peur. De se rater, de revenir bredouille. Ils avaient besoin de cette nourriture plus que tout. Cette panique commença à lui étrangler le coeur, tout doucement puis de plus en plus fortement au fur et à mesure qu'elle avançait dans le désert. Si elle ne trouvait rien ce serait une catastrophe. Comment assurer aux autres qu'une survie est encore possible si l'on y croit pas soi même ? Il lui fallut faire un effort. Respirer. Lentement. Se calmer. Doucement. Sentir le battement de son cœur se régulariser. Saisir le problème en logique et non avec ses sentiments. Que voulaient les proies ? À boire et à manger. Le plus rare en ce moment ? Boire. Il faudrait donc chercher un point d'eau. Bon. Inspirer. Expirer. Les points d'eau les plus grands ? L'Étang, le Lac Souterrain, l'Oasis, la Chapelle et le Ruisseau. L'entièreté du monde venait soudain de se réduire à cinq zones. Il ne restait plus qu'à choisir.
L'Étang ? Proche du territoire Felinae, la chatte répugnait l'idée de s'y rendre, la probabilité de croiser quelqu'un qu'elle connaissait bien trop grande à son goût. Le Lac Souterrain dans ce cas ? Les étranges monstes qui le peuplaient devraient probablement être eux aussi à l'affût d'une quelconque bestiole à dévorer. Si la bestiole en question était Nuazù, ça ne l'intéressait certainement pas. L'Oasis ne servirait pas, pour des raisons évidentes. Le choix restant fut simple. La Chapelle se trouvant en plein désert, elle aurait plus de chance en allant au Ruisseau. Certes le trajet serait long, mais c'était toujours mieux que de mourir de faim ou se faire soi même croquer.

Le soleil avait bien avancé dans le ciel quand elle atteignit enfin la zone tant attendue. Craignant pour sa peau elle n'avait pas osé couper par la forêt et son trajet s'était concentré dans le désert. Elle due se reposer un instant, ses pattes fourbues refusant de la porter plus loin. Après s'être rapidement desaltérée dans le filet d'eau trouble, elle leva la truffe, à la recherche d'un fumet intéressant.

La jeune chatte eu beau chercher, seul le néant répondit à sa requête. Aucune senteur salvatrice ne vint chatouiller sa truffe, aucun bruissement discret ne vint chanter à ses oreilles. C'était dur d'arriver à se concentrer avec tous ces bruits environnants, celui du vent qui faisait craquer les branches, celui du ruisseau qui laissait échapper des gloussements irréguliers ou encore celui des ailes d'argent qui passaient dans un grincement métallique au dessus des arbres. C'était assez peu rassurant comme environnement à vrai dire, la conseillère eu même l'idée de retourner chez elle aussi vite qu'elle était venue. Mais ce ne serait pas bien, ce ne serait pas juste. Elle chasserait aussi longtemps qu'elle le pourrait, même si elle était amenée à toujours échouer. C'est donc avec une détermination nouvelle qu'elle s'avança un peu plus entre les frondaisons, cherchant à trouver une quelconque piste sur la présence d'un animal. Elle n'allait pas abandonner. Derrière elle les dernières apparitions du désert finirent par disparaître dans la verdure noire et Nuazù s'avança un peu plus vers l'Orée. Elle croisait les doigts pour avoir plus de chance là bas, bien qu'elle n'ai pas non plus trop d'espoir. Elle restait une chasseuse bien débutante, ce serait bien plus que logique qu'elle revienne bredouille chez les siens. La chatte crème respira profondément, cherchant au coeur des senteurs âcres un fumet appétissant. Celà lui pris plusieurs bonnes minutes, mais elle finit par détecter l'odeur d'un rongeur. Elle suivit la trace de la bête, aux aguets, prête à lui bondir desssus dès qu'elle le pourrait. Quand elle finit par la voir, elle reconnu une simple souris qui ne nourrirait pas forcément grand monde. Néanmoins c'était mieux que rien, et la jeune chatte continua de s'avancer. Ses pas étaient inaudibles, ses pupilles réduites à l'état de fente, elle mourrait d'envie de ramener cette proie chez elle. Il fallait qu'elle redonne espoir à tous.

Malheureusement sa précipitation fut l'objet de sa chute, elle lui bondit dessus de trop loin et l'animal eut le temps de s'échapper avant que ne bondisse la chatte. Celle-ci se réceptionna dans une pluie de feuilles mortes, pestant contre elle-même. Chasser lorsqu'on y est pas habitué, ce n'est pas chose aisée.

Nuazù désespérait au fur et à mesure qu'elle voyait le ciel s'assombrir le ciel. La nuit avait beau tomber tôt, elle savait que c'était le signe qu'il fallait qu'elle rentre. La route à travers le désert serait longue et marcher dans le froid nocturne ne ferait que la ralentir. C'était un choix ardu qu'il fallait faire. Préférerait-elle sa sécurité ou le repas de ceux qui étaient ses amis, sa famille ? Elle savait au fond d'elle qu'elle avait encore quelques temps avant de devoir rentrer, mais elle avait déjà fait tant de recherches infructueuses qu'elle commençait à perdre espoir. Comment assurer aux autres qu'on pouvait encore survivre si l'on ne parvenait pas à chasser ? Et cette nature environnante si noire et si froide, c'était terrifiant aussi. Entendant un bruissement caractéristique à sa gauche elle bondit instantanément mais ce ne fut qu'une simple feuille morte qui vint s'empaler sur ses griffes. Quelle poisse !
Jetant un coup d'oeil derrière elle, la caméléonne réalisa qu'elle ne savait plus où elle était. Où était passé le désert ? Et tous ces arbres si semblables ! C'était proprement terrifiant. La chatte ne put retenir un gémissement apeuré. Elle était perdue et le noir qui tombait laissait la voie libre à ses pires cauchemars. Incapable de se calmer, elle commença à courir dans tous les sens, cherchant un repère, une marque, quoi que ce soit qui lui fasse retrouver le chemin de sa maison. C'est ainsi qu'elle le fit sortir. Un petit rat effrayé par tous ces bruits fila devant elle, dérapant sur les feuilles mortes. C'était certes une méthode de chasse peu conventionnelle, mais Nuazù ne vit pas d'autre choix que de lui courir après. Le rongeur était rapide, certes, mais il l'était moins que la chatte. Celles-ci lui tomba dessus et l'assoma d'un vigoureux coup de patte. La nuque brisée par le choc, les yeux de l'animal fixèrent le vide. Nuazù était fière d'elle, fière de sa proie. Au moins elle ne reviendrait pas les pattes vides. Elle avait beau ne pas savoir où elle était, avoir attrapé cer animal avait apaisé ses peines. Apercevant à travers quelques frondaisons une lumière plus intense, celle-ci lui fonça dessus, avant de s'arrêter juste à temps. C'était la ville devant elle. Mais au moins elle savait où elle était. Elle traversa la forêt le plus discrètement qu'elle le pu, avant de réussir à atteindre le désert. Le soleil venait de se coucher et la température avait déjà bien baissé. La marche restante était grande, certes, mais elle avait réussi.
L'espoir venait de renaître en l'apparence d'un simple et petit rat. Quel bel espoir.