« Qui des deux est le plus dangereux : celui qui ne connait ni l’amour ni la douceur, dépourvu de tout sentiments, ou celui qui est fou de passion ? »

Une eau huileuse, aux nuances verdâtres allant du jaune sale au brun digne d’une terre marécageuse en putréfaction. L’odeur s’en dégageant est digne d’un marais poisseux où l’on aurait répandu du souffre en quantité. De temps à autre, un cadavre ou d’inquiétantes bulles remontent à la surface de cette infection. Les murs de pierres formant des voutes semblent eux aussi empoisonnés, une mousse peu ragoutante s’y propageant, à certains endroits cette dernière semble même lumineusement radioactive, éclairant très faiblement les sombres égouts.

Le museau froncé, j’ose à peine respirer dans ces lieux putrides où l’on m’a demandé d’y faire une inspection. Pourquoi me donner ce genre de mission quoi ? En plus de risquer d’y croiser des soldats et bon nombre de bestioles peu sympathiques, l’environnement même semble vouloir ta fourrure. Evitant soigneusement de glisser dans les flaques visqueuses se trouvant à ma droite, au bord du caniveau où s’écoule ce liquide difficilement appelable « eau », je tente de ne pas non plus me coller contre la paroi de pierre. Chaque patte posée un peu plus en avant est murement réfléchie, et m’oblige à avancer avec lenteur. Ma réflexion n’est pas aidée par la voix de mon double, ricanant dans mon crâne de sa voix éraillée, n’hésitant pas à se rire de moi à la moindre occasion, où à me souffler toutes sortes d’ignominie, probablement pour m’inciter à la folie.

« Alors comme ça on ne supporte pas le parfum de la mort, pauvre petite Plumette ? »

Je lève les yeux vers le plafond où pendent des stalactites de mousse et de calcaire, exaspérée par les idées saugrenues de l’Autre. Manquant de glisser sur le côté, j’évite la chute de peu grâce à l’équilibre précaire donné par mes ailes, qui par réflexes se sont tendues, voulant s’étendre de toute leur longueur, mais bloquées efficacement par les chaînes. Cependant un petit rictus de douleur d’affiche sur mon visage alors que les anneaux métalliques arrachent une fois de plus une petite plume, causant une douleur des plus désagréables ainsi qu’un léger saignement supplémentaire. Je me dis intérieurement que suite à cette mission, il serait mieux pour moi d’aller voir un guérisseur pour éviter toute infection.

Alors que je m’apprête à reprendre mon chemin dans ce labyrinthe de l’enfer, j’aperçois une ombre féline s’approcher de moi. Mes pupilles se dilatant d’autant plus dans l’obscurité, j’identifie le chat comme un matou dont la couleur verte est aussi radioactive que les lieux. Un étrange chapeau orne sa tête, posé entre ses oreilles. Le mâle continuait d’avancer dans ma direction. Sentant de là qu’il s’agissait d’un Soldat, je me mis en garde, prête à riposter au moindre signe d’agression… ou de fuir tant que je le peux, malgré la difficulté de déplacement en ces sombres lieux. Mes yeux jusque-là d’émeraudes virent apparaître des volutes rouge sang,  finissant par donner entièrement une couleur palpitante de sang à mon œil gauche et laissant le droit intact. Ma double personnalité était prête à rentrer en action, jubilant intérieurement. Le chat s’arrêta à quelque pas de moi, sembla me détailler du regard puis déclara, d’une voix sans émotions, avec cependant un léger sourire poli sur les babines :

« Je peux t'aider ? »

Malgré mon masque de glace, le plus inexpressif possible sur mon visage, je fus en vérité assez étonné qu’un ennemi vienne à ma rencontre ainsi. Je me rappelai cependant mes nombreuses et récentes rencontres avec des Soldats lors de mes missions, n’étant pas tant agressifs que ça. Je me redressai, et plongeant mon regard bicolore dans ses yeux d’un rouge profond, je lui répondis, d’une voix distante, glaciale, un point méfiante :

« Salutation, Soldat. »

Marquant une pause, où un fugace sourire ironique s’afficha sur mes lèvres, je repris :

« Je crains que vous ne puissiez pas éliminer l’horrible odeur régnant en ces lieux. En dehors de cela, vous ne pouvez pas réellement m’aider il me semble. »

Nous nous faisions ainsi face, dans le presque-silence des larges canalisations. Je ne puis détacher mon regard du sien, mon visage redevenant inexpressif. Une certaine curiosité s’installe en moi. Si je ne puis guère dévoiler les raisons de ma présence ici, peut-être donnera-t-il la sienne. Je sens mon œil gauche palpiter tel un cœur tandis que mon double semble tout aussi intéressé que moi par cet être, mais pas pour les mêmes raisons malheureusement… Cette dernière se demandant que quelle couleur pouvait bien être le sang du Soldat. A mon plus grand désespoir, et sans que je n’eus le temps de m’opposer à elle, un demi sourire sadique s’afficha sur la partie gauche de mon visage, avant de disparaître rapidement tandis que je repousse mentalement Démone, ne gardant que de sa présence « extérieure » mon œil rouge. Je priai au fond de moi que le matou ne l’ai pas remarqué, ou, ne l’ai pas pris comme une attitude agressive, sinon je serai dans de beaux draps.