Ta queue remuée doucement de droite à gauche. La patte droite légèrement levée, la tête penchée au dessus de l’eau, tu observais le fond d’une flaque formée par la pluie. Une bien étrange créature y évoluait. Sa carapace était peinte d’une couleur qui ne t’inspirait guère : un vert fluorescent qui avait tout de chimique. Qu’est-ce que les humains ont encore fait ? Songeais-tu intérieurement, partagée entre méfiance, amusement et lassitude. Car il n’y avait qu’eux pour bouleverser la nature à ce point. Peut-être, d’ailleurs, ou sûrement, étaient-ils la cause de l’apparition des ingrédients. Après tout, il fallait s’attendre à tout. Surtout au plus stupide. Mais l’était-ce vraiment ? Et s’ils se servaient de ces objets pour occuper les Felinaes ? Et si les ingrédients avaient un effet néfaste sur les chats ? Tu avais bien remarqué que les Soldats semblaient aussi intrigués que toi, mais les humains pouvaient tout aussi bien ne pas leur avoir touché un mot. À la base c’était pour cela que tu étais venu sur le Sentier. Pour surveiller que les humains ne profitent pas du léger relâchement pour faire passer des marchandises. Bien qu’aujourd’hui soit une journée libre, tu préférais la repousser pour veiller. On ne te reprochera jamais ton zèle.

« Hey ! Tu cherche toi aussi ? »

Tu relevas la tête pour dévisager l’inconnu qui s’approchait. Tu cachas sans aucun mal ta surprise et ta crainte derrière une expression totalement neutre. Nulle animosité dans ta posture, nul sourire sur tes babines. Ce masque était celui que tu avais pour habitude de servir aux autres. Tu reluquas sans un mot l’animal en se tournant vers lui. Le pelage du félin était des plus particuliers : tacheté sur sa quasis totalité, les oreilles et la patte avant droite enrobées de noir. Le plus intriguant était certainement s a queue, d’une teinte rappelant l’eau mouvante.

« Par contre moi aussi je cherche des ingrédients..., reprit-il d’un ton peu engageant. Alors tu seras gentille de pas trop squatter près de moi. Et pour ton information je suis Thaiko... »

Thaiko... Tu gravas ce nom dans ta mémoire.

Tu n’avais guère envie d’ennuyer cet étrange mâle, mais tu ne pouvais te permettre de t’effacer : ce n’était pas le type de personnage que tu jouais aux Felinaes. Tu devais te montrer distante sans être froide, aider sans paraître gentille. Cette scène, tu commençais à en avoir l’habitude, aussi réussis-tu sans bien grand mal à conserver une expression impénétrable, quand bien même tu mourrais d’envie de t’excuser et de lui dire qu’il pouvait voguer à son aise parmi les lieux.

« Et comme tu le remarques je suis plutôt doué... »

Tu clignas des yeux, revenant à la réalité. Aux griffes du léopard apparaissaient timidement les pétales d’une rose bleue, si semblable à celle que tu avais trouvée avec Nashira. Cette plante ne t’intriguait plus réellement à présent que tu avais eu par deux fois l’occasion de l’observer sous toutes ses coutures. Néanmoins tu hochas légèrement la tête, pour le féliciter poliment. Tu restas muette lorsqu’il décida subitement de darder ses iris bleus sur les tiens. Imperturbable. Surtout rester imperturbable. Tu te retins difficilement de rougir, mal à l’aise. Heureusement pour toi ton masque tint bon, et la seule marque de nervosité visible fut le tressaillement de ton oreille au bout blanc. Et ce détail, personne ne le noté. Mis à part Hikun, bien entendu.

« Tu as déjà trouvé quelque chose ? »

Tu hésitas, avant de t’écarter pour lui montrer la crevette des plus... chimique.

« Comme tu peux le constater, répondis-tu simplement d’une voix vide d’émotion. Tu peux y jeter un coup d’œil, si le cœur t’en dit. Mais je te prierais de t’en aller une fois ceci fait, je dois veiller. Mon poste est ici-même. »

Comme d’habitude, pas un mot sur ton nom, ni quoi que ce soit te touchant.

« Non merci ça ira je continue de chercher... »

Tu observas sans un mot les réactions de ton camarade. Son corps ne cachait rien de son agacement. Lui qui était si fier de sa trouvaille se trouvait soudain rabaissé par l’étrangeté de ta « pêche ». Tu te retins de soupire : tu avais du mal à comprendre comment les chats pouvaient favoriser leur fierté à leur curiosité. À sa place tu n’aurais pas hésité un instant avant de venir examiner la crevette. Enfin, c’était son choix, pas le tient. Au moins pouvais-tu être satisfaite de ta trouvaille, résultat de nombreuses heures de recherches et de calculs. Il est vrai que ta présence en ces lieux n’était pas lié à l’animal, mais tu avais fouillé de nombreux endroits, suivant les rumeurs qui résonnaient entre les arbres.

Mais il fallait avouer que tu avais eu une chance pas croyable.

Tu observas en silence le matou tacheté s’éloigner jusqu’à disparaître totalement de ta vision. Tu tendis l’oreille. Parti ? Tu attendis encore quelques minutes pour t’en assurer. Il ne reviendra pas. Tu te détendis et te permit l’ombre d’un sourire. Ton attention se reporta ensuite sur l’animal radioactif. Plus précisément, sur ses lunettes. Tu plissas les yeux. Elles te faisaient penser de façon frappante à un certain félin cendré... Félin particulièrement envahissant. Tu déglutis. Ton cœur battait la chamade. La crevette te fixait. Tu en oublias ce qu’elle était. Devant toi se dessiné le regard indigo du chat à lunette. Tu pouvais presque le voir, te regardant de haut, un vague sourire mystérieux sur ses babines. Malgré toi tu viras à l’écarlate.

« Je... Je t’aim... »

Tu te stoppas. Hein ? Qu’est-ce que tu allais dire ? Tu piquas un fard en secouant la tête. Non non non et non ! Tu chassas bien vite ces quelques mots de ton esprits paniqué, prit le crustacé entre tes crocs et t’éloigna. Tu n’avais pas le temps de réfléchir à des choses stupides. Tu devais rentrer. Montrer ta trouvaille à Dariel, peut-être. Est-ce qu’Hikun voudrait la voir ? Tu sursautas. Non ! Grondas-tu mentalement. Il peut toujours rêver pour que je lui montre ! Du moins, pour le moment, n’est-ce pas ?