L'entraînement des apprentis était terminé depuis longtemps. Mais de temps en temps Oken aimait bien rester regarder les autres soldats s'entraîner. Il se mettait dans un coin, s'installait confortablement, les muscles encore chauds après les efforts qu'ils avaient fournis, et prenait de la graine de ce qu'il voyait. Il était toujours impressionné et admiratif devant les démonstrations de techniques et de force de ses aînés.

Ensuite, quand le soir tombait, les derniers zélés repartaient pour la caserne après leurs heures supplémentaires. Et Oken regardait le soleil se coucher avant de courir les rattraper pour ne pas être en retard pour le dîner. Il aimait profiter de ce coin de nature, lui qui avait grandit entre quatre mur, avec de rares sorties dans un enclos bien fermé, n'avait jamais pu profiter d'autant d'espace. Il n'avait appris à grimper aux arbres que récemment et adorait entendre leurs feuilles secouées par le vent.

Une fois le champ d'entraînement vide, le chaton sauta sur un rondin de bois sur lequel il s'assit, tourné vers l'ouest. Le ciel avait déjà commencé à prendre des teintes colorées depuis un moment et la température chutait sans se stabiliser depuis quelques heures. Sous son poil d'hivers qui tombait peu à peu, Oken n'avait pas froid. Cela le démangeait juste un peu toutes ces touffes de poils qui tombaient par poignée de son pelage au moindre coup de vent.
Il enroula ses deux queues de chaque côté de ses pattes, comme il aimait à le faire, après s'être un peu ébroué. Il poussa un petit soupir de contentement, teinté d'une légère déception. Admirer le soleil se coucher était un fabuleux passe-temps, mais cela marquait aussi la fin de sa sortie. Il serait obligé de rentrer après cela, poussé par son estomac et les règles que les humains imposaient. Les chatons et les apprentis n'avaient pas le droit de sortir la nuit, il paraîtrait que c'était à cause de bêtes mutantes dangereuses et de chats inconnus.

Tout à sa contemplation ébahie -il ne s'en lassait jamais-, il n'entendit pas qu'on s'approchait de lui à pas feutré.

Le soleil laissait dans le ciel orange et jaune une trace de rouge, comme s'il s'accrochait à la voûte céleste de toutes ses forces pour ne pas tomber. Le spectacle était magnifique, et je trouvais ça vraiment superbe. Ç'avait beau être un simple coucher de soleil, chaque soir, ce n'était pas le même. Des fois, les rares nuages se couvraint de rose pâle et d'orange, d'autres fois le ciel entier était recouvert de couleurs chaudes, éclairant les nuages de teintes jaunes et autres belles couleurs. J'adore ça. J'en suis même jaloux. Comment quelque chose qui n'est pas un être vivant peut-il surpasser ma beauté? Remarque, la nature peut tout dépasse. Ça ne compte pas.
Je sais seulement que je prends des risques en allant sur le territoire des Soldats. Ces chats arrogants et stupides agissant de leur gré aux humains... Ils me dégoûtent. Je ne peux même pas les regarder en face. Ils me paraissaient bien stupides, à obéir comme ça.
Seulement, alors que je marche tout en suivant la course du soleil, j'aperçois une forme blanche assise dans un coin. L'air sent la Guilde respective des Soldats, et le petit félin émane lui aussi cette fragrance particulière. Cependant, au lieu de ressentir toute cette rancœur et cette haine que j'éprouve habituellement lorsque j'en croise un, je sens l'intéressement et la curiosité me titiller. Cela ne fait que plus m'intriguer, et je décidais d'aller le voir. Il avait l'air absorbé dans la contemplation de quelque chose... Jusqu'à ce que je remarque que lui aussi, il était émerveillé devant le coucher de soleil. Il tait de dos, mais je voyais bien sa double-queue. Il était bien mignon, avec sa fourrure couleur des flocons d'hiver. Je positionnais alors ma tête au-dessus de la sienne -il n'avait toujours rien remarqué!- et miaulais d'une voix neutre mais pointée de malice:

"-Hey, petit Soldat. Comment ça va? Moi, c'est Narcisse."

Je pouvais à présent distinguer son petit visage craquant. Il était terriblement mignon, avec ses grands yeux bleus foncés contraires aux teintes des miens, et tout son corps semblait petit. Un bleu, sans doute, un apprenti. Quel était son pouvoir? J'avais terriblement envie de le savoir.
C'était la première fois que je ne ressentais pas de l'agacement face à un petit. Les autres m'énervaient, et je les repoussais avec agressivité ou les ignorais. Ce ressentiment me fit devenir de plus en plus curieux sur le Soldat. Tenterait-il de me chasser, parce que je suis sur son "territoire"? J'espérais que non. Je devenais de plus en plus las de la violence.

Lorsqu'une tête de chat surgit à l'envers devant ses yeux, Oken ne put retenir ses instincts primaires. Surpris, il bondit les quatre pattes en même temps, toutes griffes dehors et le poil hérissé. Il atterrit dans l'herbe, les oreilles couchées, les yeux écarquillées, la gueule à moitié ouverte sur un demi-feulement.

Il ne connaissait pas l'autre chat, mais puisqu'il ne l'avait pas attaqué alors qu'il en avait l'occasion, Oken n'avait surement rien à craindre de lui. Le chaton blanc se sentit alors parfaitement ridicule de s'être fait surprendre aussi facilement et d'avoir réagit de manière exagérée pour si peu.

Il s'assit et se lécha la patte avant droite pour se donner une contenance, pendant que ses poils retombaient. Sa queue était parcourue de soubresauts, témoignant de son agacement. Son coeur battait encore un peu fort dans son thorax, mais il respirait normalement.

Entre deux léchouilles, la langue tirée, il baragouina sur un ton un peu vexé :

-Bonsoir Monsieur.

Il releva les yeux et détailla le chat tout en ajoutant :

-Je m'appelle Oken et je suis pas encore un soldat, juste un apprenti.

Ce chat avait des yeux de chaton, tout bleu. C'était une couleur qui ne partait pas toujours en grandissant. Il était blanc presque partout, mais pas tout à fait. Et surtout, il avait un fleur sur la tête. Quelle drôle d'idée.

La curiosité naturelle du chaton à deux queues repris finalement le dessus. Il posa la patte qu'il léchait au sol et ne put s'empêcher de demander avec candeur :

-Vous êtes un soldat ? C'est la première fois que je vous vois. Pourquoi vous avez une fleur sur la tête ? Est-ce que ça gratte ? Est-ce qu'elle pousse dans votre tête ? Est-ce que ça fait mal ?

Il s'était retenu depuis des jours et des jours de harceler les autres soldats de ses questions. Alors qu'il n'avait l'intention que de poser une seule question, il n'avait pu empêcher les autres de sortir de sa bouche au fur et à mesure qu'elles lui effleuraient l'esprit, avec frénésie.

Je supprime Oken, donc j'archive.