Le Quartier Nord était une vraie aubaine pour les gens comme Isaac; ces amateurs de choses complètement inutiles. Pleins de babioles complètement dispensables et dénués de sens pour tout chat qui se respecte, parfois même dangereusement inutiles; mais il s'en souciait peu, parce que c'était tout de même rudement intéressant. Et peu importe à quel point on pouvait le juger lorsqu'il ramenait ces objets humains -qu'il égarait assez rapidement, par ailleurs- il continuait, persévérait, dans sa recherche ultime du nonsens et de la discorde, jusqu'à ce qu'un jour, il trouvera l'objet Ultime, à la fois peu esthétique et inutilement inintéressant. Et ce jour-là, le règne de Isaac le grand sera enfin respecté ! A moins que tout ça ne soit qu'un espèce de mauvais rêve qu'il avait fait, parce qu'il était au moins à moitié sûr qu'il n'était absolument partisan d'aucune espèce de prédiction prophétique aussi stupide et dénuée de tout intérêt. Peut-être étais-ce la prédiction en elle-même qui représentait, quelque part, ce qu'il cherchait. Rien n'était plus dispensable que ce genre de pensées passagères, qui embrumait son esprit. Le voici partit en ville, trottinant joyeusement, pour se rendre à ces ruines désarticulées d'un ancien monde. Peut-être étais-ce réellement ce qui lui donnait tant d'intérêt; le fait que c'était des vestiges de quelque chose d'étrange qui avait si récemment touché à sa fin.

L'air était plutôt frais, un soleil brillant ornait le ciel, et une brise doucereusement fraîche soufflait, donnant l'espèce de froideur constante à l'endroit. De plus, il se rendit compte assez rapidement que l'après-midi était tombée, et qu'il se devait de rentrer dans quelques heures; pas énormément non plus, mais plus d'une, ou de deux, s'il n'était pas trop pataud sur le retour; tout ça pour éviter le froid peu appréciable de l'endroit. Quelques nuages blanchâtres et cotonneux venaient également couvrir le ciel bleuâtre; une après-midi un peu lourde et peu appréciable, à cheval entre la frontière du beau temps et du mauvais; il préférait drastiquement lorsque le ciel s'affirmait, au lieu qu'il ne donne l'éparse impression d'être déchiré entre deux partis, ne sachant s'il devait satisfaire tout le monde, en leur offrant un ciel agréablement lumineux, ou s'il devait les enquiquiner avec une pluie torrentielle. Bizarrement, lui qui n'aimait pas la pluie car de joliment ennuyantes bouclettes alourdissaient son pelage, il préférait ce temps-là à celui-ci.  Enfin, il fallait bien qu'il avance, quoi que fut le temps, au lieu de se cloîtrer à l'endroit qu'il se réservait pour dormir tardivement, rien que d'imaginer que le lendemain fut pris dans un froid glacial et qu'il serait obligé de rester l'ennuyait terriblement : gaspiller plus d'une journée à rester cloîtré, c'était un crime qu'il ne pouvait définitivement pas commettre.

Lorsqu'il se trouva parmi les décombres, il commença à chercher parmi les débris, quelque objet intéressant que ce fut, avec ses pattes toutes touffues. Au bout d'une vingtaine de minutes de vaine recherche, son oreille se dressa et il se rendit compte qu'il n'était pas seul, tristement. Il n'aimait pas être interrompu lors de ses recherches, mais pourquoi pas, après tout. Peut-être serait-ce un chat avec un physique étonnement et définitivement unique en son genre, peut-être sa vision détruirait toutes les conventionnalités qu'il avait un jour établit, peut-être que- aaaah, non. Il se rendit plutôt rapidement compte que ce n'était absolument pas cela, quoi que son physique était tout à fait intéressant, c'était simplement Shrader, son ami d'enfance. Une des choses qui se dégageait définitivement du chat blanc, c'était qu'il était prêt à abandonner presque tout ce qu'il avait entreprit, rien que pour se faire remarquer de lui. Pas qu'il cherchait à lui plaire plus que cela, mais il aimait voir ce visage familier s’animer d'un ennui profond rien qu'à reconnaître sa présence. Il inspira fortement, car celui-ci, quoi que pas spécialement loin, ne semblait pas l'avoir remarqué, puis hurla de toutes ses forces -dérangeant probablement toute créature aux alentours, ce qui ne le gênait pas plus que ça, en réalité, cette simple pensée qu'il puisse enquiquiner quelqu'un d'autre que Shrader ne lui vint absolument pas à l'esprit- avec un ton de fangirl qui n'essayait même pas de se cacher de l'être :

« SHRADEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEER !»

Sur ces mots, sans lui laisser le temps de répondre, il s'avança joyeusement vers lui, bruyamment, en trottinant fortement, un sourire, probablement le moins rassurant du monde, sur le visage.

Il se leva rapidement; comme s'il craignait que le scientifique raté ne le fasse chanceler. Quoi qu'à la vitesse qu'il prenait, il peinerait probablement à s'arrêter, et son temps de réaction étant plutôt douteux, une possible altercation physique pouvait tout à fait se produire. Alors ce monsieur plutôt prévenant restait tout de même nettement doué; il y avait de grandes chances pour qu'il tombe, en effet. Cela dit, Isaac parvint, grâce à de nombreuses répétitions de cette scène, à stopper ses pas avant, s'emmêlant tout à fait les pattes et manquant de tomber. Ah, la technique s'obtenait plutôt facilement, lorsque l'on manquait de tomber régulièrement; on pouvait même constater son étonnante et inutile capacité à se tenir dans des positions défiant presque la gravité sans jamais tomber. Ah, il manquait, certes, parfois, devait se tenir à quelque chose d'imprévu; mais il ne tombait pas vraiment si souvent que cela; après tant de temps, il avait acquis tous les mécanismes physiques pour l'empêcher; n'est-il pas? Oui, il n'était pas stupide -même si il en donnait affreusement l'air- et savait tout à fait calculer ses capacités à tomber quand il s'agissait de se déplacer vite ou d'adopter une posture aléatoire.

Il lui tendit la patte; oh, il était terriblement heureux de revoir son cher Isaac, n'était-il pas? C'était mignon. Après tout, Shrader ne devait pas être très populaire, et pour Isaac, le concept même qu'il puisse avoir une vie en dehors de lui-même lui était tout à fait inconnu et inconcevable; c'était impensable et terriblement idiot. Meh. Le pauvre, sans Isaac, il n'avait pas vraiment de vie. Pour le petit chat bleuté, c'était entièrement son mode de pensée à l'encontre de son ami; même s'il n'avait pas une seule seconde reçu son consentement ou entendu sa voix, il savait au fond de son kokoro que son meilleur ami était d'accord; qu'Isaac était le centre de son monde. Sautillant doucement -par doucement on entends tous à deux centimètres du sol mais avec une régularité extrêmement rapide- il n'avait même pas vu la patte que lui tendait son ami au pelage plat comme l'humour d'Isaac, et simplement continua d'afficher un sourire idiot, toujours en continuant de s’essouffler sur place. Alors, sans aucun respect pour le mutisme, il se lança dans une tirade :

« Hey Shrader ! On est diiiimanche aujourd'hui. EhehehehehehEHEHEHEHEEH. T'as compris? Dit-manche. Dit... Tu sais tu parles pas. Et manche, comme l'espèce de mer qu'il y avait avant, parce que t'as la tête dans l'eau. Mais si ! Raaaah, pourquoi tu es si frustrant à chaque fois? Tu ne comprends toujours pas mon humour exquis? Pourquoi tu dis rien? Ah, ce n'est rien, j'ai tout mon temps, toute ma journée pour t'expliquer plus en détail ! Eheheh. Alors, dimanche, c'est un jour de la semaine chez les humains, le dernier, enfin, je ne suis pas vraiment sûr que les détails t'importent vraiment, mais je vais y aller quand même; c'était un jour religieux, et personne ne travaillait pendant pas mal de temps, le dimanche ! Ouais, pour nous, ce n'est pas vraiment différent. Mais dimanche se découpe en deux syllabes; di et manche, et di c'est tout à fait comme le verbe dire, en gros, ce que tu ne peux pas faire ! Puis manche, c'est, dans notre contexte, une référence à La Manche, quelque chose qui avait de l'eau, une mec, un lac, meh, c'était mouillé, c'est tout ce qui compte ! Comme ta tête dans un scaphandre, eheheheheh. Eheheheheheh. EhehehHEHEHEHEHEHEEHEH. C'était un peu creepy là non? Bah, tant pis. Mais ne le dis à personne que j'ai un rire weird. Personne. »

Isaac continua de sautiller joyeusement.

« Alors pourquoi tu es venu ici, toi? Oh, laisse-moi deviner. Comme tu n'as pas de vie sans moi, tu me suivais c'est ça? C'EST ÇA ?»

Ce serait la seule phrase simple de la journée, eheheh.