Ah, la décharge, un lieu de saleté et de puanteur, infesté de rats et de pollution... mais bon, ce n'est pas comme si on ne vivait pas dans cette ambiance quotidiennement. J'étais habituée.

  Et oui, une nouvelle pause m'avait été accordée. Mon rang, c'était plus de la ballade constante que de veiller jour et nuit, en fait. Et ça m'arrangeait bien. Je veux dire, faire la morte et tourner la tête toute la journée c'était pas le plus passionnant de tous les jobs existants vous trouvez pas ? Bref dans tous les cas j'avais beaucoup de temps pour moi et je connaissais très bien les environs par la même occasion, donc pourquoi pas faire de nouvelles découvertes ? Enfin, je suis déjà allée voir la décharge moult fois, mais ça n'empêche pas de faire de nouvelles rencontres. Si j'étais seule dans ce monde apocalyptique, je serais bien triste.

  Je marchais dans ce chaos infini. Métaux, plastiques, cadavres, os et autres objets et êtres vivants répugnants trainaient de ci de là dans ces catacombes repoussantes. Si je dis tant de mal et que j'exprime un tel dégoût envers cet endroit, alors pourquoi y suis-je allée, vous dites-vous ? Je n'en sais rien pour tout dire... mes pas m'ont menée là, ils voulaient peut-être que je me salisse, qui sait ? Dans tous les cas sans savoir ni où je vais ni ce qui m'attends, j'emprunte des chemins au hasard... 

  Les os souillés glissaient en bas de leurs petites collines à mesure que je marchais sur ces dernières. Le paysage n'était pas beau à voir, après tout, je n'étais pas venue ici sans savoir ce qui m'attendait. Les corbeaux me fixaient avec leur regard noir et fixe. Ce n'était pas terrifiant, plus gênant qu'autre chose en fait. Un gémissement retentit dans cette clairière désertée de vie, un gémissement félin, et la bruine se mit à tapoter doucement le sol. Je levai les yeux au ciel... mh, rassurant tout ça. En alerte, je me dirigeais prudemment vers l'endroit d'où le cri provenait. Derrière une petite colline de pollution gisait une femelle, la patte arrière gauche coincée dans un buisson de ronces entremêlées.

  Je me précipitais vers ce chat en détresse, et retirait avec soin ces ronces qui l'empêchaient de bouger sa patte. Cette dernière saignait et je n'étais pas guérisseuse. Je marmonnais des mots qui soulignaient bien ma nervosité.

  — Misère, misère..

  Il y avait bien quelque chose pour stopper une hémorragie par ici, n'importe quoi ! Je fouillai la réserve, et découvris un vieux chiffon un peu dégradé et orné d'une vielle tâche de sang sèche. Bien que cela puisse déplaire à la blessée, je l'enroulai autour de sa jambe et la noua sans trop serrer. Voilà qui devrait aller.

  Je m'assis, soupira un bon coup et passa ma patte sur mon front avant de sourire à la femelle.

— Merci. Qui es-tu ?, lança froidement la femelle.

  Ugh, déjà, le ton froid et le regard noir. Mais qu'est-ce qu'ils ont tous ces chats, dernièrement ? Il n'y en a pas un d'amical ! Peut-être que c'est juste moi qui suis malchanceuse. À chaque fois que je croise un félin il est systématiquement insupportable. Et je sentais bien que cette rencontre allait être désagréable, au fond de moi. Vu comment ça commençait, c'était sûr et certain que ça allait déraper. En même temps, tu détestais ce genre de chats, froids et hautains, vantards et pestes. 

  — Tout d'abord, bonjour, ronchonnais-je.

  Les formules de politesse, l'essentiel et pourtant la chose qui passe bien souvent sous le nez de bien des félins. Je fixais la femelle avec désormais un regard de dégoût. Puis, déjà excédée, je crachai.

  — Vous êtes tous insupportables, PENSEZ-VOUS VRAIMENT QUE C'EST UNE FAÇON DE REMERCIER UNE PERSONNE QUI VOUS SAUVE QUE DE LA FIXER AVEC CE REGARD NOIR, DE GROGNER ET DE PRENDRE DU RECUL ? JE NE PENSE PAS.

  Bon, j'avais dééééjà perdu mon sang froid. 'Faut dire que ça faisait un moment que je devais la sortir, celle-là. Je veux dire, je veux bien être compréhensible au départ, mais faut pas pousser.

  — Vous les soldats, vous vous pensez au-dessus de tout le monde, c'est ça ? UGHHH. JE NE PENSE PAS QUE CE SOIT VRAI. Je ne vais pas vous mettre tous dans le même sac mais CONTINUE DANS CETTE VOIE ET JE NE DISCUTE PAS PLUS AVEC TOI. Je ne sais MÊME pas pourquoi je continue de te parler. TU N'AS PAS DE COLLIER, ÇA M'EST ÉGAL. TU SENS LE SOLDAT À PLEIN MUSEAU.

  Le petit coup de colère était arrivé. Par contre, je sais pas s'il est passé pour l'instant. C'est que ça m'éneeeerve ! Je faisais des vas-et-vient et parfois m'arrêtais pour cracher au visage de la femelle.

  — C'est quoi, ton nom, Je-suis-une-soldate-craignez-moi, blablabla ?

  Parce que ta guilde porte un nom ridicule, tu te sens forte, c'est ça ? EH BAH NON. C'est pas comme ça que ça marche, ma cocotte. Je soupire. Les soldats sont pas les seuls à pouvoir péter les plombs. Et j'en étais la preuve, n'est-il pas ? OH QUE OUI. Et encore, ce n'est rien. Je peux faire beaucoup plus que ça quand je suis vraiment exacerbée. Mais bon, faut vraiment le vouloir pour m'emmener à un tel point, parce que c'est pas souvent que mon courroux est si accentué.

 — Je m'appelle Nishari, et toi ? fit la blessée, qui avait réagit avec surprise à la crise de nerfs de la femelle blanche.

  Voilà qui paraissait mieux, déjà. Bon, elle n'avait toujours pas proféré de salutations, mais peu importait, Hana n'allait pas continuer à chipoter, ça ne ferait que perdre du temps. Hana, le regard légèrement dur, soupira et s'assit. Et fixa Nishari, qui avait changé son regard pour le remplacer par un air plus guilleret et doux. La femelle blanche se sentait déjà mieux.

  — Je suis Hana, fit-elle en soupirant une nouvelle fois.

  Elle avait quelques questions. Où était le collier de la femelle ? Que venait-elle faire par ici ? Espionner, encore ? Ils n'ont jamais assez d'information, eux, hein ? Elle n'avait pas l'air d'avoir de modification physique, ni de pouvoir. Cette question-ci était trop personnelle. Commençons par une petite, pas trop directe et simple.

  — Que viens-tu faire par ici ? Et pour ta blessure, si tu ne la tortures pas ça devrait cicatriser rapidement.

  Hana était de nature très douce et calme, 'fallait juste pas l'énerver. Elle s'attachait très rapidement, et pouvait aussi devenir une vraie chipie. Il y avait néanmoins des caractères qui la répugnaient, et qu'elle ne souhaitait pas recroiser de sitôt. Malgré tout, elle en rencontrait chaque jour. C'était fatiguant à force. Mais bon celle-là pouvait devenir très sympathique.

  Quelques tas d'os craquaient sous les pattes de la femelle, qui d'un coup de patte les envoya valser avec nonchalance.