Je ne saurais dire si c'est de rage, de frustration ou même de rancœur, mais j'ai un vrai feu dans le ventre. À chaque pas j'ai un peu plus l'impression que tout va exploser avant même que je n'ai le temps de me mettre à l'abris. Ou plutôt mettre les autres à l'abris. Je ne sais même pas pourquoi je suis si mal à vrai dire. Ça m'a pris en pleine nuit, alors que je somnolais paisiblement, quelques images me sont venues en tête, je ne me souviens même plus lesquelles. En revanche je me souviens de cette pression grandissante dans ma poitrine, de mon souffle qui ne cessait de se raccourcir, et, surtout, ce débordement de violence en moi. J'ai l'impression que je pourrais tout détruire d'un simple coup de patte. Je me suis levé en sursaut, en plein milieu de la nuit, sortant en panique de la Caserne, espérant que prendre l'air m'aiderait à reprendre mon souffle. Ça n'a rien fait. Je n'ai fait que haleter un peu plus, au bord de l'évanouissement ou de la crise de nerf, je ne sais pas, à la recherche désespérée d'une chose à faire. Je me suis dirigé, presque naturellement, là où je saurais trouver quelque chose à frapper. Le champ d'entrainement. Vide à cette heure si tardive, heureusement pour moi. Je n'aurais pas aimé y croiser quelqu'un.

Je ne prends même pas la peine de m'échauffer. Je sais, c'est bête et bien trop impulsif, mais je ne peux pas faire autrement. J'ai besoin de frapper et j'en ai besoin maintenant. Une vulgaire peluche fera l'affaire. Je lui saute dessus, toutes griffes dehors, et commence par lui lacérer les flancs avec rage. Je ne reste qu'une fraction de seconde, plongeant droit devant, pour éviter une réplique fictive. Je roule un instant avant de glisser sous son ventre et pousser de toute mes forces, le faisant retomber sur le dos, saisir sa tête entre mes pattes avant et marteler son cou de toutes mes forces avec mes pattes arrières. Imaginant une nouvelle fois une réplique logique qui viendrait, c'est-à-dire qu'il se mette en position fœtale pour me marteler la tête, je l'envoie valser à quelques dizaines de centimètres. De là je lui ressaute dessus, mordant son oreille si fort que j'en arrache un bout et que de la bourre me reste dans la gueule. Je la recrache, dégoûté. Je ne faiblis pourtant pas mon attaque, fauchant ses pattes avant de m'attaquer à mordre sa queue, sautant pour esquiver puis retombant sur son dos qui cède. Nous roulons à terre, tandis que je me mets à griffer le plus fort possible son museau de toile. Peu à peu ma rage s'apaise, plus je frappe plus j'ai l'impression de tout expulser. Je ne m'en rends même pas compte sur le moment, mais je me suis mis à pleurer. Pourquoi ? Pourquoi est-ce que je pleure ? De quoi ais-je bien pu rêver pour être dans un état aussi lamentable, sans même avoir une idée de pourquoi ? Je relâche tous mes muscles et la poupée de chiffon contre laquelle je me battais perd elle aussi toute sa vie. Pour elle ce combat était perdu d'avance. Peut-être bien que pour moi aussi.

Je sèche mes larmes. Elles n'ont de sens que pour m'apaiser et je me sens déjà mieux. J'éternue, une fois, une deuxième, toujours sans comprendre comment et pourquoi j'ai bien pu en arriver là. Beaucoup de choses auraient pu me mener droit à cette vague de ressentiment et d'émotions négatives : Meitner, Cassiopée, Heisenberg, ma mère, etc. Que des personnes que j'ai aimé en soit. Mes pattes tremblent encore de cet effort subit et violent que j'ai fourni. Les coups que j'ai donné étaient très forts, un peu trop même peut-être. Je titube à moitié lorsque je vais ranger le mannequin sur lequel j'ai pu me défouler, tentant sans vraiment y arriver de faire rentrer toute cette bourre qui sort de son oreille déchirée. J'ai vraiment été très violent sur ce coup. Trop même. Ce n'était certes pas intelligent, mais purée qu'est-ce que ça m'a fait du bien. Je me sens soulagé d'un poids conséquent. Peut-être est-ce un cauchemar que j'ai combattu, j'aurais juré que ce chat factice m'attaquait lui aussi. Sur le chemin du retour je suis bien plus calme, et je remarque une chose qui m'avait échappé à l'aller : là, sur le bord de la route, diffusant une très légère lumière bleutée un peu plus remarquable en pleine nuit, se trouve une petite fleur transparente. Je la dévisage un instant, incertain de la certitude de l'image que mes yeux m'offrent, avant de choisir de ne pas la cueillir et repartir. Que ce soit un rêve ou non, on arrache pas une aussi jolie plante parce qu'on la veut pour soit tout seul.