17 janvier 2067,

Il neige dehors. Quand tu étais plus jeune, tu aimais courir dans les grandes plaines opalines, soulevant derrière toi un nuage de neige épais qui se propageait dans l’air. Aujourd’hui, les choses ont bien changé. La neige est devenue synonyme de froid, de douleur, de maladie et de mort. En dessous de 0°C, tous ceux qui avaient décidé de vivre seuls le regrettaient et oubliait ce pour quoi ils se battaient. On se bat pour des proies ou un peu de chaleur. Maintes fois tu as failli perdre la tête en pensant te rendre aux humains. Après tout, seuls les soldats bénéficient de nourriture, d’eau et de confort avec pour seule contrepartie de tuer les rebelles. Dans un monde où l’on doit penser à sa survie, bâtir un groupe de rebelles est égoïste: bâtir une société car celle des humains ne nous convient pas, c’est égoïste. Car, selon toi, si quelqu’un n’était pas en accord avec une autre, il devait déserter seul, et non pas entraîner dans sa chute femmes et enfants. C’était lâche.  

Peut-être est-ce parce que tu t’en voulais pour Pandémie. C’est probablement de ta faute, du moins, c’est ce que tu penses. Si tu n’avais pas eu l’idée saugrenue d’emporter avec toi ton dernier souffle de vie, ton dernier espoir en ce monde, elle aurait vécu.

Tu n’es plus que l’ombre de toi-même; pour fuir le froid, tu t’abaisses plus bas que terre. Tu rampes dans les égouts, frissonnante de froid, certes, mais aussi de dégoût. Vivre ici pendant un an, terré en dessous du monde, a été une vraie torture en y repensant. Ne rien savoir d’actuel et ne connaître personne te rongeait. La seule chose de bien qui te soit arrivée ici fut de la rencontrer, elle. Mais, savoir jusqu’au bout des doigts chaque dédale, chaque boyau de ces égouts aussi était bien, même si tu refusais de le reconnaître. Ces égouts te sauvent la vie en même temps qu’il te la détruise. Tu risques d’ailleurs ta vie en venant ici, dans un lieu aussi surveillé, mais ne l’entends pas de cette oreille. Après tout, tu es une experte en fuite et en course. De plus, la chasse est un jeu d’enfant, surtout dans un endroit fermé comme celui-ci. Enfin, les rats ne sont pas vraiment le meilleur des repas, mais cela te suffisait amplement.

De toute manière, tu n’avais pas faim. Tu avais trop froid pour penser à cela. Mais, en connaissant bien cet endroit, aussi bien qu’un soldat, tu pouvais t’installer à proximité d’un tuyau d’air chaud. Enfin, “chaud”. En tout cas, moins froid que dehors, et c’était déjà très bien. S’allonger près de ce qui semblait être un aérateur, c’était une chance.
Un bruit? Non, c’était probablement ton imagination. Quoique. Probablement un groupe de soldats qui fait sa ronde; ce n’est pas la première fois que ça t’arrive. Ou alors, un felinae en direction pour la ville, mais c’est beaucoup plus rare. N’écartons pas tout de suite cette dernière hypothèse. De toute manière, tu sais très bien ce qu’il te restait à faire en cas de danger; la zone était assez ombragée, largement assez pour fuir.

« Qui est là ? »

D’une voix rauque et forte, tu n’avais pas peur. Tu y étais trop habituée; cela peut être dangereux parfois, d’avoir trop confiance. Tu oublies que la vie peut nous prendre par surprise. Fais plus attention à l’inconnu, June.