Les rayons de soleil de la matinée traversant la sylve déposaient sur les champignons de doux reflets. L'air agréable était parcouru par une petite brise discrète. L'odeur d'humidité toujours présentent ces matins-là se mêlait à la tendre et étrange odeur des champignons de l'endroit. A quoi ressemblaient ces champignons? Elidea ne le savait pas, mais elle savait qu'ils étaient immenses et qu'ils n'étaient pas naturels. Elle aurait beaucoup aimé les voir, comme tant de choses en ce monde, mais elle se contentait de les imaginer avec ce qu'elle pouvait percevoir: des odeurs, des sensations, des textures, ou le flux d'eau qui parvenait auprès de ces êtres.

L'endroit était assez calme pour le moment, et la femelle ne percevait aucun bruit félin, si ce n'était, à sa droite, quelques coussinets aplatir l'herbe encore humide. On entendait aussi les feuilles des buissons lorsqu'un filet de vent leur parvenait. Le temps semblait alors comme ralenti, voire presque inexistant. Ce lieu avait réellement une apparence fantastique, comme une muraille gardé précieusement, et où la ville intérieure serait alors protégée de la guerre faisant rage au dehors.

Elidea devait trouver la tanière des guérisseurs. Dans ce microcosme éteint, elle repérait les entrées des différentes tanières, à la recherche de celle aux odeurs d'herbes et d'onguents. La plupart avait la même odeur, celle d'un ou plusieurs félins. Toutefois, chacune avait une particularité, rendant alors identifiable le chat qui y avait élu domicile. Elle passa également devant le creux où l'on déposait les proies. L'odeur alléchante de la viande crue faisait salivait l'apprentie, mais elle passa son chemin.

La jeune femelle fit attention lorsqu'elle traversa l'un des ponts en toile d'araignée. Jamais elle n'avait senti une telle texture sous ses pattes duveteuse, et elle se trouvait alors hésitante, au départ, à l'idée de s'y aventurer. Finalement, le pont avait résisté, et la prochaine fois, elle aura certainement plus d'assurance. Une odeur d'herbes séchés se fit alors sentir. Tournant la tête vers ce parfum, elle se dirigea lentement vers la cavité.

Lorsqu'elle y entra, son museau fut assailli par de multiples odeurs venant de toutes parts. Elle ne pouvait en isoler une car toutes se mélangeaient, formant une odeur indéfinissable. Il y avait un chat, plus loin, et , après une petite inspiration, Elidea prit enfin la parole

Elle finit par lui répondre, un petit sourire au coin des lèvres:

« Bonjour, c'est bien ici la cavité des guérisseurs? »

A peine Elidea posa la question que la femelle, à la voix aussi douce que rassurante, se retourna. Dans cette pièce parfumée de tant d'odeurs différentes, l'apprentie peinait à distinguer celle de la guérisseuse. Elle entendit les coussinets de la guérisseuse se poser un à un sur le sol du champignon, s'approchant alors d'Elidea.

La femelle au pelage crème fit également un pas tandis que la dénommée Aurore se présentait tout en marchant. Aurore, le nom que l'on donnait aux levers de soleil que l'on pouvait apercevoir sur les grandes prairies lointaines. Cela n'aidait pas la jeune, car pour elle, le lever de l'astre d'or était tout aussi noir que chaque instant de la journée. Mais dans les babines des chats dont les yeux étaient opérationnels, ce mot a toujours eu un symbole chaleureux, elle espérait qu'il en serait de même pour la guérisseuse. Sa voix semblait dans tous les cas, s'accorder à cette définition qu'elle se faisait de l'aurore

Elle finit par lui répondre, un petit sourire au coin des lèvres:

« Mon nom est Elidea. Et oui, je viens d'arriver. »

Elle passa alors sa patte droite devant ses yeux

« Je ne pense pas pouvoir être utile autre part que chez les soigneurs »

En effet, même si elle pouvait voir autre chose que les rayons lumineux visibles par tous les animaux (humains y compris), cela n'en restait pas moins un handicap. Sa Vue n'était pas constante, elle le savait très bien, malheureusement. Elidea aurait bien voulut aller chasser quelques mulots dans les bois, ou se battre contre divers ennemis. Mais elle ne pourrait pas et il faudrait qu'elle s'y fasse. Tant pis, le métier de soigneur n'est peut-être pas si mal que ça finalement, qui sait?

Aurore finit par se placer à ses côtés. Son pelage ne sentait que les onguents et les remèdes. Toutes des odeurs âcres indéfinissables, qui la firent éternuer le première fois, seraient celles qu'elle côtoierait régulièrement désormais. Elidea se demandait bien combien de soigneurs vivaient auprès des Felinae. Elle souhaitait  simplement qu'il n'y en ai pas trop

Un petit temps de silence se fit sentir alors qu'Elidea désignait son bandeau avec sa patte. La guérisseuse confirmée devait certainement l'observer et se faire une idée de sa situation. De toute manière, si elle ne l'avait pas compris, elle ne tarderait pas à comprendre que la femelle était aveugle. Et puis... Est-ce qu'un chat normalement constitué pouvait réellement penser que l'on puisse voir au travers d'un bandeau? Sérieusement...

La jeune au pelage crémé se releva, tandis que la soigneuse se dirigeait vers le fond de la petite caverne. Des feuilles séchés crissaient sous ses coussinets. Cet endroit aurait certainement besoin d'un peu de rangement.  Alors qu'Elidea avançait prudemment dans cet espace embaumant les plantes, Aurore déposa devant son museau quelque chose. Si elle n'approchait pas son museau de ces plantes, elles sentaient exactement comme l'environnement alentour, mais, en y faisant attention, on parvenait à les différencier.

La première lui rappelait vaguement quelques choses. Lors des premières semaines de sa vie, si elle se rappelait bien, son père lui donnait ces baies à manger. Leur goût sucré l'avait rapidement conquise, et, alors que le matou lui apprenait les dures lois de la vie, il lui avait dit que ces baies, ces larmes de l'astre d'or, seraient toujours là si jamais elle avait besoin de se nourrir. C'étaient ça, des baies de Soleil.

La seconde toutefois, ne lui rappelait absolument rien. Fourrant son museau sous la plante, cela ne lui ramena aucun souvenir. Son odeur était toutefois étrange, ni âcre, ni douce. Elle était simplement... Tenace, avec une petite odeur de groseille.

La troisième plante n'était autre que celle qu'elle avait utilisé maintes fois. Lorsqu'elle était petite et qu'elle s'égratignait souvent alors qu'elle jouait, son père lui en posait sur ses plaies pour la soigner. Elle avait un parfum doux, agrémenté d'un semblant d'air marin. C'était étrange, et pourtant si réconfortant. Heureusement qu'elle en avait trouvé après s'être fait attaqué par la pie quelques lunes plus tôt. Sans cela, son oeil serait sûrement dans un état encore plus horrible que ce qu'il était déjà. Heureusement que personne ne le voyait. On lui avait dit qu'il s'agissait de la plante des barons et des rois: la Royale

Après quelques temps de concentration, Elidea releva la tête, et s'adressa à la soigneuse

« Je n'ai pu reconnaître que la première et la troisième.
Les premières sont des baies du Soleil, et la dernière une Royale »

Aurore semblait assez contente de la prestation de la nouvelle apprentie. Pourtant, elle ne les avait pas toute reconnues... Après tout, peut-être que le but de l'exercice n'était pas de toute reconnaître. Ainsi, la plante à l'odeur tenace était de la Brocéliande. Ce nom avait une sonorité étrange, mais sympathique, un petit peu comme un nom de personnage ancien. Blessures ouvertes, maux de tête et rhumes. Elle se répéta ces mots dans sa tête, ceux-ci devenant presque une petite ritournelle plus ou moins entraînante. Blessures, maux de tête, Rhumes, Blessures, maux de tête, rhumes. Elle respira une dernière fois l'odeur que dégageait la plante afin de tenter de s'en rappeler au mieux. Elle ne savait pas si elle la retiendrait tout de suite, mais on verrait bien si cette méthode était efficace.

Alors qu'elle relevait la tête, Aurore la questionna une nouvelle fois sur l'utilité des deux plantes. Repartant dans ses souvenirs des lunes dernières, elle tenta de déduire les soins qu'elle provoquaient. La première n'évoquait rien qui pouvait être de l'ordre de la guérison. Seul le goût sucré des baies lui revenait en mémoire. La seconde toutefois, elle s'en rappelait bien mieux. Elle créait une sorte de pâte gluante que l'on posait alors sur les plaies. Cela piquait au début, sur la chair à vif, mais cela passait vite et l'on se sentait bien mieux.

Elle répondit alors à la soigneuse en face d'elle. Les odeurs autour d'elle redevinrent troubles, se mélangeant les unes aux autres, et formant ainsi un ensemble de parfums unique. Et pourtant, en se concentrant, on les discernait les unes des autres, tout comme l'on discernait l'odeur féline d'Aurore

« Je crois simplement me souvenir que la Royale sert pour les plaies. Sinon, rien d'autre ne me revient »