« Les fous passent, la folie reste »
Tu t'es affreusement mal cachée.
En même temps ce n'est pas ton talent.
En aurais-tu seulement un ?
Soudain une paire d'yeux surgit.
Droit devant les tiens.
Deux yeux bleus clairs.
Un petit peu moins que les tiens.
Tes oreilles frémissent.
Tes oreilles bleues.
Tu remues ta queue.
Ta queue bleue.
Ton pentagramme s'allume.
Ton pentagramme bleu.
Ça fait beaucoup de bleu quand même.
Beaucoup trop de bleu.
Soudain tout ton corps s'écroula.
Tes pattes étaient relâchées.
Tu gardais les yeux ronds.
La mâchoire s'était refermée sur ta nuque.
Et il avait commencé à te tirer.
Qui qu'il soit.
Il venait de te saisir comme un parent.
Comme ta mère ne l'avait jamais fait.
Comme ton père ne l'avait jamais fait.
Comme tous deux ne le feraient jamais.
Un gout amer avait empli ta bouche.
Ton corps formait un sillon dans le sable.
Un sillon lourd et raide.
Tu aurais pu marcher.
Tu en avais la force.
Tu en as toujours la force.
Mais tu ne l'as pas fait.
Pourquoi ne l'as-tu pas fait ?
D'aucun diraient que c'est un réflexe.
Même les adultes sont incapables de bouger dans cette situation.
Et après tout...
Tu es une adulte.
Eh oui.
On ne dirait pas, hein ?
Mais tu as déjà trois ans.
Et tu ères dans le désert depuis plus de deux ans.
Quelle triste vie.
Le chemin te semble long.
À te faire traîner.
Long et éreintant.
Pas pour toi.
Pour elle.
Cette personne que tu ne connais pas.
Tu voudrais qu'elle te lâche.
Tu voudrais lui demander.
Mais tu ne dis rien.
Et tu continues de te faire traîner.
En fermant les yeux tu l'imagines.
Un soldat, fort et fier.
Ton cœur loupa un battement.
Un battement triste.
Ce ne pouvait être lui.
Ç'aurait été trop beau.
Aussi beau que son regard...
Tu n'as pas le droit à cela.
Pas le droit à cette chance.
Quand finalement tout se stoppe tu ouvres les yeux.
Effectivement.
Tu avais raison.
C'était trop beau pour être vrai.
Beaucoup trop beau.
En face de toi se tient un chaton.
Enfin tu supposes que c'est un chaton.
À vue de nez moins de dix mois.
Tu fais à peu près la même taille.
Tu es ridiculement petite.
Ridiculement maigre.
Elle se regarde dans une flaque non loin.
Tu dévisages l'eau avec envie.
Tu entends presque Passie dans ton oreille.
Tu jurerais qu'il te susurre à l'oreille d'y aller.
D'aller boire.
Après tout peut-elle te l'interdire ?
Alors pendant que l'autre se dévisage tu te penches.
Droit vers l'eau.
Tu te stoppes quand l'autre se met à parler.
Lentement tu rentres ta langue.
Tu boiras plus tard.
« Où sont mes bois?! Et où est mon oeil? Qu'est ce que tu m'as fait? Et pourquoi ton truc sur l'épaule brille?! Je voulais seulement t'amener ici car tu avais l'air en piteux état et j'ai perdu les trucs qui me rattachaient à mon père ! »
Cette fois Passie rigole.
Il rigole très fort.
D'un rire plein et sadique.
Voilà ce que tu fais.
Tu fais perdre aux autres ce à quoi ils tiennent.
Tu lui as fait perdre ses attributs.
Tu lui as fait perdre son pouvoir.
Tu lui as fait perdre son père.
Tout ça parce qu'elle voulait t'aider.
Tu te serais giflée si tu pouvais.
Mais tes pattes sont trop lourdes.
Tes griffes sont trop rentrées.
Ton ventre est trop serré.
Tu as trop honte.
Elle grogna un peu.
Tu te baissas encore plus.
Presque aplatie sur le sol.
Pourtant elle...
Elle s'excuse !?
« Pardon...Je ... me suis emportée, qui es tu? Tu avais l'air épuisée et du coup...j'me suis dis qu'en tant qu'apprentie guérisseuse je devais t'aider après tout c'est mon rôle et...T'es bien une solitaire en vue de ton état? Si tu veux de l'eau j'en ai derrière moi, et si tu veux...hum...te laver un peu aussi... »
Tu ne réponds pas.
Tu ne sais pas quoi dire.
Elle doit trouver que tu pue.
Tu as un peu honte.
Tu as toujours eu honte.
Mais honte d'être toi.
Pas honte de ton apparence.
Beaucoup trop habituée à avoir honte de ton pouvoir.
Maintenant tu as honte de ta honte.
Tu regardes tes pattes.
Tu es très sale.
Tu dois puer.
Vraiment beaucoup.
Tu ne sais même plus de quelle couleur tu étais.
Alors, la tête basse, tu marches vers l'eau.
Tu n'oses même pas t'y rafraîchir.
Tu plonges ta patte dans l'eau.
Tu frottes doucement ton oreille.
Très doucement.
Le liquide se trouble de suite.
Tant de sable et de poussière.
Méticuleusement tu t'atèles à cette tâche.
Passie te murmure dans l'oreille que c'est vain.
Tu ne l'écoutes pas.
Tu n'as pas envie de l'écouter.
Un vague tremblement te prend.
Tu abandonnes rapidement.
Ton corps est trop grand.
Tu n'as pas la force.
Tu es déjà un peu plus propre.
Ton pelage réapparaît argenté.
Comme avant.
Ce gris si pâle.
Ce gris si beau.
Le gris d'Atalante.
Pas le tien.
Tu regardes l'autre dans les yeux.
Tu n'as même pas bu tiens.
Tu souris un peu bizarrement.
C'est vrai ça.
Tu as du mal à sourire.
C'est trop normal pour toi.
Tu t'éclaircis la gorge.
Un petit peu.
Mais ta voix est rauque.
Trop rauque pour ton apparence.
« Tu n'aurais pas dû me récupérer... Je n'en avais pas besoin. Et je casse tout sur mon passage, j'ai cassé ton apparence, j'ai cassé ton pouvoir... »
Tu baisses la tête.
Tout ton corps te brûle.
Sévèrement.
Tu dois avoir rougi.
Rougi de honte.
Tu oses à peine regarder en face de toi.
Soudain, une petite chose attire ton regard.
Un étrange trèfle se tient là bas.
Au bord de l'eau.
Il tient ses petites feuilles fermées.
On dirait qu'il va frapper quelque chose.
Qu'il va te frapper toi.
Tu le vois grandir.
Serait-ce une nouvelle hallucination ?
Très probablement.
C'en est bien une mais tu n'en es pas sûre.
Il grandit encore et encore.
Ses poings se tordent.
Il te fixe de ses yeux froids.
Il lève une tige, prépare son coup.
Tu le sais.
Tu attends l'impact.
Terrible.
Tu te recroquevilles.
Tes yeux se ferment.
Tu grimaces déjà.
Tu commences à trembler.
Ton pouls s'emballe.
Mais le coup ne vient pas.
Comment pourrait-il venir ?
Le trèfle n'a jamais voulu te frapper.
Pourtant tu ne vouges pas.
Tu es terrée sur toi même.
Tu cherches presque à disparaître dans le mur.
Quel pitoyable spectacle.
Quelle décadence.
Quel c'est incompréhensible.
Code par xLittleRainbow